A Detroit, la faillite et les espoirs d’une ville illustrent la fiction néolibérale

Détroit est en faillite. La grande ville, jadis prospère, du nord des Etats-Unis a accumulé 18 milliards de dollars de dette. Mais Détroit a une histoire, pas n’importe laquelle, de cette histoire naît quelque chose de neuf. L’ancienne Motor Town en faillite, cultive l’utopie concréte de l’agriculture urbaine.

 Le mois d’ao ût, temps des vacances. Si, en ces temps de crise, vous aviez à  choisir une destination aux Etats-Unis, iriez-vous séjourner à  Détroit ou à  Disneyland ? Nous vous conseillons Détroit, la vie y est moins chère et vous rencontrerez l’Amérique vraie, pas celle des rêves en carton pâte.

Depuis plusieurs mois on lit dans la presse la faillite annoncée de Détroit, qui fut la capitale américaine de l’automobile. Des usines Ford, Chrysler, Général Motors sortirent ces  » belles américaines » qui firent rêver le monde, même à  Cuba o๠roulent encore, en 2013, la plus étonnante concentration de Buicks, Dodge, Cadillac, Pontiac des années 50 et 60.

C’est à  Détroit, également, à   » Motor Town » – la ville du moteur – qu’est né le label Motown en 1959. Une machine à  vendre des disques par millions, et à  faire des tubes. Michael Jackson et les Jackson Five sont passés par là , ainsi que Steve Wonder, Diana Ross, Marvin Gaye, The Supremes et des dizaines d’autres. Du rêve musical cette fois, au temps de la prospérité, du plein emploi et du fordisme.

Le fordisme, cette théorie fut à  la fois une organisation du travail spécifique et un compromis entre objectifs économiques et préoccupations sociales. L’un des principes du fordisme fut d’associer gains de productivité et évolution des salaires, en soutenant la consommation. Le principe étant que les salariés puissent acheter les produits qu’ils fabriquent. Une conception bien éloignée du néolibéralisme de la fin du XXem siècle qui a cherché la rentabilité en faisant baisser le co ût de la main d’oeuvre par la délocalisation vers des pays à  bas salaires.

C’est à  Détroit aussi que Martin Luther King pour la première fois, avant son discours de Washington, a proclamé  » I have a dream ». Je fais un rêve.

C’est à  Détroit encore qu’en 1967 ont éclaté les premières émeutes raciales qui se sont répandues ensuite dans tout les Etats-Unis.

C’est à  Détroit toujours qu’un rapeur blanc, Eminem, incarne le mieux la ville au XXIem siècle, avec des textes et un répertoire pas vraiment politiquement corrects.

Et c’est à  Détroit enfin qu’une sorte de prophétie populaire locale augure :  » ce qui se passe chez nous, le pays le connait vingt ans plus tard. »

Autant de raisons de s’intéresser à  cette ville symbole qui a perdu 400 000 emplois depuis 2008 et qui au delà  des sombres statistiques et des visions catastrophes, ne perd pas complétement espoir.

Les statistiques sombres: bâtiments vides et habitations saisies
La ville de Detroit, dans le l’Etat du Michigan est en faillite. La municipalité a accumulé une dette de 18 milliards de dollars. On parle de mauvaise gestion. Sans doute, mais il ne serait pas juste de faire porter l’entière responsabilité de cette situation aux équipes municipales qui se sont succédées. Qui aurait pu gérer avec succés un si grand déclin ?

Détroit comptait 2 millions d’habitants dans les années 1950, plus que 713 000 en 2013. 80% de la population est noire, les blancs ont peu à  peu quitté Détroit pour les communes périphériques. Pas tous, quelques uns résistent, tandis que la population d’origine hispanique augmente et que les derniers arrivés, les émigrés venus du Moyen-Orient apparaissent, rachétent des commerces, vont prier à  la mosquée, avec leurs femmes et leurs filles, la tête couverte d’un voile. .

Les statistiques sombres : 16,3% de chômage ( 50% dans certains quartiers); 78 000 bâtiments vides ; 67 000 habitations saisies, abandonnées par leurs propriétaires après la crise des subprimes; 40% de l’éclairage public ne fonctionne pas; la moitié des jardins publics sont fermés; les ambulances sont en panne et la police locale, dit-on, met 58 minutes pour intervenir lorsqu’elle est appelée contre une moyenne de onze minutes au niveau national. Conséquence une criminalité galopante, les chiffres indiquent 1129 crimes violents pour 100 000 habitants. Marseille et la Guadeloupe seraient à  côté des hâvres de tranquilllité.

Detroit: un exemple d’agriculture urbaine réussie ?
Tant de raisons de désespérer et pourtant des signes indiquent que l’énergie et la créativité de cette ville ne sont pas défaits. Les industriels et les financiers ont lâché Détroit après avoir exploité l’énergie de ses habitants durant un siècle, comme on exploiterait une mine, c’est la leçon qu’on peut retenir. Beaucoup d’habitants sont partis, certains sont restés, attachés à  cette ville en déclin.

Eminem, resté fidéle à  la ville o๠il a débuté sa carrière, déclarait dans un entretien:  » quand on parle de Détroit et de son déclin, on oublie qu’il y a des gens qui y vivent et ne veulent pas abandonner. »

Ne pas abandonner, c’est faire appel à  l’énergie de chacun, créer des réseaux de solidarité à  la marge d’un système cynique et défaillant, qui est parti ailleurs chercher ses marges de rentabilité.

Cela a commencé dans les années 1980, après la fermeture des premières usines. Au pied des bâtiments, des tours vides, autour des stations services abandonnées, l’herbe a poussé et des potagers ont été plantés par quelques pionniers. A ce jour, lors des récoltes Détroit assurent aux alentours de 15% de sa consommation de fruits et légumes. Pour une ville qui vivait dans les années 1950, prospère peut-être, mais sous la fumée et la pollution des usines, ce n’est pas mal.

Détroit, jadis capitale mondiale de l’automobile, deviendra-t-elle un exemple d’agriculture urbaine réussi ?

Sur les marchés, les produits cultivés dans des bacs en bois, sont vendus avec l’appellation  » grown in Détroit ». Il y a de la fierté chez ces habitants/pionniers, porteurs de cette valeur bien américaine du  » do it ourselves », leur démarche est à  la fois simple et chargée d’utopie, mais elle existe: plus de 1000 potagers et jardins communautaires poussent dans l’ancienne Motor Town.

Cette ville sous tensions envoie un message. La prospérité passée de Détroit est née de tensions et de métissage. Les migrants venus d’Europe, les Noirs montant du sud pour échapper à  la ségrégation et gagner quelques dollars par jour, se sont croisés, ont travaillé ensemble dans les usines automobiles de Détroit au cours de la première motié du XXem siècle. Le label Motown est issu de ce cocktail, tout comme, d’une certaine manière, Eminem, présenté dans sa biographie comme de nationalité américaine mais avec des origines écossaises, allemande, suisse, anglaise.

Détroit est en faillite mais ne peut pas disparaître. C’est une  » vraie ville » qui porte en elle, les succés industriels et les échecs humains et sociaux du siècle passé. Elle peut encore surprendre.

General Motors renfloué par l’Etat fédéral a retrouvé l’équilibre financier et même les bénéfices, après avoir été au bord de la faillite. Certes, il n’y a pas de retour en arrière possible, la grande époque de l’automobile est finie, mais dans l’idéal, un nouvel équilibre ne se situe-t-il pas quelque part entre agriculture urbaine et industrie automobile moins arrogante ?

L’Amérique, la vraie est bien à  Détroit, pas à  Disneyland !

Auteur/autrice : perspektives

Didier Levreau, créateur en 2010 du site Perspektives, 10 ans d'existence à ce jour