Epandage aérien de pesticides: la chose jugée ne suffit plus !

Le projet de nouvel arrêté du ministère de l’agriculture pour encadrer l’épandage aérien de produits phytosanitaires, a provoqué des réactions en Guadeloupe. Réactions peu relayées par les médias en ces temps de vacances.Nous publions le courrier adressé au ministre de l’agriculture par Jean-Marie Abillon, membre de l’association  » collectif vigilance citoyenne ». Mais auparavant, un résumé de la situation « sur le front de l’épandage » à  quelques jours de la rentrée, scolaire, mais aussi sociale et politique, 2013.

L’épandage aérien de pesticides est interdit – estimé dangereux pour la santé publique – mais, selon des circonstances particulières il peut être autorisé exceptionnellement par dérogation préfectorale. Un arrêté ministériel du 31 mai 2011 encadre cette réglementation. Depuis un an, à  trois reprises en Guadeloupe, sur la base de cette réglementation les dérogations accordées par la préfecture ont été annulées par le tribunal administratif à  la suite de plaintes déposées par des associations de défense de la santé publique, le nature et de l’environnement ( Asfa, Amazonia, Envie santé ). La fin de l’épandage aérien était arrivée, pouvait-on espérer, sur ce fragile territoire déjà  touché par les pollutions chimiques. Ce n’est plus s ûr.

Le ministère soutient sans concession les planteurs de bananes.
Au mois de juillet dernier, le ministère de l’agriculture a annoncé, avant les  » grandes vacances » qu’un projet de nouvel arrêté est en cours et qu’une consultation publique est ouverte jusqu’au 22 ao ût. Le ministre d’un gouvernement socialiste, organisant une  » consultation publique » au mois d’ao ût, sur un sujet sensible, est soi provocateur, soi inconscient. On pourrait le comprendre d’un gouvernement qui ne compte pas dans ses rangs les ministres d’un parti écologiste, là , quel grand écart !

Que dit le ministère ? Il s’agit de rendre  » plus compréhensible au public le principe des dérogations, de mieux répondre aux situations particulières et d’engager avec ce nouvel arrêté  » une démarche visant au développement de méthodes alternatives et de réduction du recours au traitement aérien. »

A la lecture du projet de nouvel arrêté, la démarche alternative ne saute pas aux yeux: les dérogations ponctuelles sont remplacées par des dérogations d’urgence; les dérogations annuelles sont remplacées par des dérogations temporaires, pouvant aller jusqu’à  12 mois pour la banane. Pour le riz, le maïs, la vigne les dérogations sont d’une durée plus courte.

Les délais d’information du public sont allongées, de même que sont renforcées les obligations de balisages des zones agricoles concernées. Lors des précédentes dérogations ces contraintes étaient vagues, insuffisamment appliquées et peu contrôlées.

Ce nouvel arrêté est-il fait pour que les dérogations accordées échappent aux annulation administratives ? Les semaines qui suivront la rentrée le diront.

En observant les statistiques du ministère, on constate que les planteurs de bananes des Antilles, sont les premiers concernés par l’épandage aérien de pesticides et qu’il s’agit surtout, avec un nouvel arrêté, de protéger leurs intérêts.

58 dérogations ont été accordées en 2012 sur le territoire français hexagonal et hors hexagone. Dont deux en Guadeloupe. La vigne, le maïs, le riz et les bananiers sont les principales cultures concernées.

Avec plus de 7000 hectares, la banane représente le tiers des surfaces concernées par l’épandage aérien, tous territoires confondus, et près de la motié si l’on considère les surfaces agricoles développées.

80% de la surface agricole utile (SAU) plantée en banane aux Antilles est concernée par l’épandage aérien, contre 0,07% de la SAU plantée en maïs, 0,3% en vigne et 50% en riz, en France hexagonale. On mesure le poids que représentent ces surfaces sur d’aussi petits territoires que la Guadeloupe et la Martinique et l’impact sur la santé publique.

Indigné, Jean-Marie Abillon, membre de l’association Collectif vigilance-citoyenne, professeur des universités à  la retraite, a adressé le courrier ci-dessous aux ministres concernés.

Le projet d’arrêté ignore ou fait semblant d’ignorer les décisions du Tribunal administratif

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Ce projet d’arrêté, pour ce qu’il concerne notamment les conditions de délivrance de dérogations pour la culture des bananiers en Guadeloupe et Martinique, est une véritable honte pour leurs auteurs, qui, une fois de plus, ont cédé aux pressions du lobby des bananiers.

Ce projet :

– ignore, ou fait semblant d’ignorer, les décisions successives du Tribunal Administratif de Basse-Terre (jugements en référé des 03/10/2012, 29/10/2012 et 04/07/2013, et jugement sur le fond du 10/12/2012) suspendant puis annulant les arrêtés préfectoraux de dérogation.

Combien de fois faudra-t-il faire annuler ces types d’arrêtés pour que nos gouvernants comprennent enfin que la culture intensive de la banane d’exportation « Cavendish » n’a aucun avenir devant elle ? Même les plus fervents défenseurs de ce type de culture commencent à  changer d’avis et à  se tourner vers d’autres activités agricoles.

– fait fi dans son article 1 (« le présent arrêté définit les conditions dans lesquelles, hors cas d’urgence, peuvent être accordées des dérogations provisoires à  l’interdiction de procéder à  ces épandages, dès lors qu’il n’existe pas de solution alternative et, notamment, que les actions de lutte intégrée ne permettent pas d’exclure totalement le recours à  cette pratique. ») de la protection de la santé publique (oh combien étonnant de la part de notre ministre en charge des affaires sociales et de la santé !), qui n’est pas mentionnée (sauf dans les dispositions d’urgence de l’article 19 o๠il est précisé : « la description du danger menaçant les végétaux, les animaux ou la santé publique » et o๠on atteint le comble du ridicule, voire de la malhonnêteté : en quoi l’épandage aérien de pesticides permet-il d’éviter tout danger pour la santé publique ?).

– encourage les gros planteurs de banane d’exportation à  poursuivre leurs activités, mettant en danger la santé publique et la protection de l’environnement, dans des régions déjà  profondément martyrisées par l’utilisation de la chlordécone, dont sa prolongation par des dérogations « criminelles » devra un jour être condamnée.

– encourage aussi ces gros planteurs à  continuer à  solliciter des subventions exhorbitantes (plus de 30 millions d’euros par an depuis 2007, soit 15 000 euros/ha ou 20 000 euros par emploi direct dans le secteur de la banane en Guadeloupe) au détriment des autres activités agricoles de subsistance locales, pratique condamnée par le rapport de la cour des comptes de 2011

(http://www.ccomptes.fr/Publications/Publications/Rapport-public-annuel-2011). Il faudra un jour demander un audit de l’utilisation de ces subventions pour lesquelles apparemment aucun contrôle financier n’a été effectué !

Je considère d’autre part que cette consultaion publique n’est pas effectuée dans les règles, dans la mesure o๠elle dissimule au public les contenus des avis, dont l’accès n’est pas possible puisqu’on ne peut communiquer sa réaction que par courrier électronique. Il s’agit donc d’une totale mascarade. Circulez, il n’y a rien à  voir ?

Je constate enfin que cette soit-disant consultation est effectuée à  une période on ne peut plus opportune (mois d’ao ût) en vue de passer inaperçue. Quel mépris pour les citoyens que nous sommes !

Je suis enfin profondément navré, écoeuré, de la légèreté, voire du cynisme, qui a présidé à  l’élaboration de cet arrêté qui n’est pas à  l’honneur de ses auteurs.

Jean-Marie ABILLON,

Membre du Collectif Vigilance Citoyenne et de l’association du même nom

(www.collectifvigilancecitoyenne.org ),

Auteur/autrice : perspektives

Didier Levreau, créateur en 2010 du site Perspektives, 10 ans d'existence à ce jour