La pensée collective une alternative à  la pensée individuelle

Le mouvement des Indignés espagnols aura bientôt un an. Le Mouvement du 15M -15 mai 2011 – a perdu en visibilité, en médiatisation mais les questions qu’il a soulevées restent non résolues. Notamment celle de la représentation démocratique. Nous publions des extraits d’un article de Eduardo Romanos, sociologue espagnol, à  lire dans son intégralité sur le site: www.laviedesidees.fr

 Le mouvement du 15M a été traité souvent comme s’il s’agissait d’un mouvement politique (…) Il semble nécessaire de souligner que le 15M n’est ni un parti politique, ni une organisation de quelque type que ce soit, mais un mouvement social (…)

Les objectifs des mouvements sociaux vont au delà  de la  » remise en cause des politiques gouvernementales » ou du remplacement des élites chargées de mettre en oeuvre ces politiques. Ils posent la question de  » transformations plus amples qui touchent aux priorités sociales, aux mécanismes de base par lesquels la société agit. »

Les mouvements sociaux sont des canaux à  travers lesquels se diffusent dans la société des concepts et des perspectives qui, sans cela, continueraient à  être marginaux. Ils participent à  l’élaboration de nouveaux codes culturels.

Transformer les préférences de chacun de nous

La valeur ajoutée de la démocratie délibérative réside dans la transformation des préférences de chacun d’entre nous.

(…) Dans le modèle libéral les préférences individuelles sont sacrées et doivent être protégées par l’intervention de l’Etat. La théorie de la démocratie délibérative critique cette vision pour son réductionnisme.

Concrétement cette théorie tente de démonter trois illusions ou préjugés associés au modèle libéral:

– les préférences ne sont ni autonomes, ni libres elles se produisent dans un contexte spécifique

– les préférences peuvent changer en fonction du contexte;

– l’agrégation des préférences que l’on suppose préétablies est un obstacle à  la promotion de la justice sociale et du bien commun. Si chacun vote selon ses préférences individuelles et que celles-ci sont déterminées par des intérêts individuels, les décisions collectives ne peuvent pas tendre vers le bien commun.

A l’opposé l’objectif de la délibération ( démocratie délibérative) serait la formation ou la découverte des préférences (réflexives) de chacun et leur transformation en vue du bien commun, à  travers l’accés à  l’information et un processus conscient d’apprentissage.

L’objectif est de construire plutôt que d’opposer

Dans cette logique le mouvement 15M fait écho au principe de transformation des préférences. Voici ce qu’on lit dans le  » Guide rapide pour la dynamisation des assemblées populaires » (1) :

 » La pensée collective est totalement opposée au système actuel qui fonctionne sur la pensée individualiste. Normalement face à  une décision, deux personnes ayant des idées opposées auront tendance à  s’affronter et à  défendre violemment leurs idées en ayant pour objectif de convaincre, de l’emporter ou, tout au plus de parvenir à  un compromis.

L’objectif de la pensée collective est de construite. C’est à  dire que deux personnes avec des idées différentes mettent leur énergie à  construire quelque chose. Il ne s’agit pas alors de mon idée ou de la tienne, ce sont deux idées ensemble qui vont produirent quelque chose de nouveau qu’à  priori ni toi ni moi ne connaissions. C’est pour cela que l’écoute active pendant laquelle nous ne sommes pas seulement en train de préparer notre réplique est absolument nécessaire. (…)

La pensée collective est le résultat de la synthése des intelligences et des idées individuelles, non pas une somme éclectique, mais une synthése. »

(…) En ce sens le mouvement du 15M utilise le contre exemple de la démocratie représentative pour expliquer le processus participatif de prise de décision:  » On cherche les meilleurs arguments pour prendre la décision le plus en accord avec les différentes opinions et non pas des positionnement opposés comme cela se produit quand on vote. »

Les principes de la démocratie délibérative ne sont pas nouveaux. Nous pouvons en trouver les traces dans la mobilisation internationale à  la fin des années 1960 et dans les mouvements sociaux qui suivirent ( mouvement écologiste, mouvement féministe etc) et même avant dans les pratiques associatives de la tradition anarchiste (…)

Dans ce contexte, il convient de se demander qu’apporte de neuf le mouvement du 15M ?

L’occupation de l’espace public n’a pas été une invention des manifestants égyptiens ou espagnols mais par contre la façon dont chacun d’entre eux l’a occupé présente des traits nouveaux. Pour ce qui est du cas espagnol et bien que les campements aient été levés, les indignés y reviennent de façon récurrente et y pratiquent un nouveau modèle de démocratie qu’ils essaient de perfectionner jour après jour, non sans de considérables efforts.

 » Prendre la place » n’est pas une occupation parmi d’autres, mais répétons-le, un acte qui situe au centre de l’espace public l’expérimentation, par le biais d’un processus participatif et délibératif de prise de décisions. Le 15M a favorisé le transfert de ces pratiques depuis des enceintes plus ou moins limitées vers les places publiques, c’est là  que semble résider une différence importante.

– (NDLR) Le titre, les intertitres et les coupures du textes sont de la rédaction de Perspektives.

(1) site accessible sur : madrid.tomalaplaza.net

Auteur/autrice : perspektives

Didier Levreau, créateur en 2010 du site Perspektives, 10 ans d'existence à ce jour