Chirac ami de l’Outre-mer, mais de quel Outre-mer ?

La litanie des hommages plus ou moins plats rendus par les hommes et femmes politiques en Guadeloupe et … ailleurs a agacé quelques uns d’entre nous. En jouant sur les sentiments et l’émotion et non pas sur la raison et les faits, la plupart des médias et des politiques ont perdu le sens de la réalité. On peut comprendre l’émotion face à la disparition de cet ancien président – humain plus qu’humain – pétri de défauts et de quelques qualités, mais quand même !
Quel ami de l’Outre-mer et des peuples premiers était-il ? Aimait-il les peuples premiers ou plutôt les arts premiers lorsqu’ils sont rangés et répertoriés dans les vitrines de musées à Paris, Londres ou New-York ? Quant aux peuples les aimait-il authentiques et premiers, ou bien assimilés et dociles ?
Quai Branly
Pour commencer laissons la parole à Aminata Traoré, ancienne ministre de la culture du Mali. Lors de l’ouverture du musée du Quai Branly à Paris consacré aux arts premiers – qui va devenir le musée Jacques Chirac puisqu’il s’agit de son projet – elle a adressé une lettre au président des Français, dont voici un extrait:
« Dans ma « Lettre au Président des Français à propos de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique en général », je retiens le Musée du Quai Branly comme l’une des expressions parfaites de ces contradictions, incohérences et paradoxes de la France dans ses rapports à l’Afrique. A l’heure où celui-ci ouvre ses portes au public, je continue de me demander jusqu’où iront les puissants de ce monde dans l’arrogance et le viol de notre imaginaire. Nous sommes invités, aujourd’hui, à célébrer avec l’ancienne puissance coloniale une œuvre architecturale, incontestablement belle, ainsi que notre propre déchéance et la complaisance de ceux qui, acteurs politiques et institutionnels africains, estiment que nos biens culturels sont mieux dans les beaux édifices du Nord que sous nos propres cieux (…)
(…) Le Musée du Quai Branly est bâti, de mon point de vue, sur un profond et douloureux paradoxe à partir du moment où la quasi totalité des Africains, des Amérindiens, des Aborigènes d’Australie, dont le talent et la créativité sont célébrés, n’en franchiront jamais le seuil compte tenu de la loi sur l’immigration choisie. Il est vrai que des dispositions sont prises pour que nous puissions consulter les archives via l’Internet. »

Nouvelle Calédonie – Ouvea
1988 à Ouvéa en Nouvelle Calédonie. 19 Kanaks et leurs otages sont cernés par plusieurs dizaines de militaires qui attendent les ordres. Donner l’assaut ou négocier ? Ces Kanaks ont mené une opération sans issue, mal montée, ils sont dans l’impasse, ils sont accusés de terrorisme, ce qu’ils nient, et s’ils le sont ce sont de piètres terroristes. En ce printemps 1988, ils se révoltent contre l’acculturation et la marginalisation dont ils sont l’objet depuis des décennies sur leur propre terre. Ils sont des représentants authentiques des arts et des peuples premiers. Mais pas dans un musée, ils sont de chair et d’os.
1988, Mitterrand est président de la République, Jacques Chirac, premier ministre, le deuxième tour des présidentielles est proche, ils sont tous les deux candidats. Climat tendu.
Le 4 mai un protocole d’accord est enclenché entre le FLNKS et le haut-commissaire de la République Edgar Pisani ( avec l’accord de Mitterrand qui joue double jeu car il a également donné son accord à Chirac pour l’assaut). Pisani négocie la restitution des otages et le transports à Paris des ravisseurs Kanaks pour qu’ils soient incarcérés et jugés pour leurs actes. C’est la solution légale et pacifique qui aurait débouché sur un procés sans doute passionnant à suivre.
Elle n’aura jamais lieu. Chirac et son ministre de l’Outre mer Bernand Pons donnent l’ordre aux militaires de passer à l’assaut. Jacques Attali, alors conseiller de Mitterrand écrira plus tard que cet assaut fut une « boucherie« ; Edgar Pisani ( 1) dans ses mémoires écrit:  » De propos délibérés, une opération de massacre a été montée. » Et en 2008, vingt ans plus tard, Michel Rocard a reconnu publiquement que des Kanaks blessés avaient été « achevés » par les militaires plutôt que soignés.
Il y a eu une amnistie générale de cette affaire. Plus pour protéger les militaires qui auraient dû rendre compte d’actes illégitimes dans une armée de la République que pour les Kanaks qui auraient fait d’un procés une tribune pour défendre leur cause.

Chirac, l’agriculture et le chlordécone
Faut-il s’étendre sur l’affaire du chlordécone ? Ce produit qui a empoisonné pour plusieurs siècles des terres agricoles en Martinique et en Guadeloupe. Une affaire qui n’est pas réglée.
Bref résumé : une société martiniquaise a fabriqué et introduit ce produit – efficace mais hautement toxique – pour traiter les bananeraies durant une vingtaine d’années.
Tout a commencé en 1972 et il se trouve que le premier ministre de l’agriculture qui a signé l’autorisation d’utilisation est Jacques Chirac, jeune et fringant, au début d’une « belle carrière » . En 1975, trois ans plus tard ce produit a été interdit aux Etats-Unis et dans les années 1960 à deux reprises le même produit, sous le nom de Kepone avait été refusé par la commission des toxiques du ministère de l’agriculture. Jacques Chirac l’a laissé passer. Quelles pressions, quels lobbies l’ont convaincu ? A-t-il regretté cette autorisation donnée, comme l’a fait plus tard un autre ministre de l’agriculture, Jean-Pierre Soisson ?
Dans l’affaire du chlordécone – qui n’est devenue publique jusqu’en 2007 – 25 ans après l’introduction de ce pesticide en Guadeloupe et Martinique, transparait  » la collusion entre des intérêts privés et l’aveuglement, la complaisance des pouvoirs publics «  confie un observateur éclairé du dossier.

(1) Edgar Pisani qui faut-il le rappeler fut plusieurs fois ministre sous le général de Gaulle dans les gouvernement Debré et Pompidou, donc a priori peu complice de la cause Kanak, mais homme intègre, soucieux de justice et de légalité. Ce qui ne fut manifestement pas le cas de Jacques Chirac, ni de Bernard Pons.