2017/2024 : 7 ans de macronisme, rien n’a changé et les monstres surgissent

En juin 2017 ( sept ans déjà ! ) sur ce même site Perspektives, nous avions publié l’article que vous pouvez lire ci-dessous, sur l’élection présidentielle. Un jeune nouveau président était élu, il prétendait incarner le « nouveau monde politique » face à l’ancien. Diplômé de l’ENA, issu du monde de la finance que cachait son  » jeunisme » ? A relire l’article le résultat de 7 années de pouvoir est pire que ce que l’on pouvait imaginer.
« Que tout change pour que rien ne change » la phrase du « Guépard » l’ouvrage de Giuseppe Tomasi de Lampedusa est bien en deça de la réalité. Au regard de l’état du pays nous devons en 2024 évoquer un autre italien, Gramsci, homme politique qui dans la première motié du 20em siècle a écrit :  » le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. » Et pour être optimiste malgré tout espérons qu’après la venue des monstres surgissent des jours meilleurs.
D.L

L’article de juin 2017
Tout change, pour que rien ne change … où est l’arnaque ?
La phrase du « Guépard », l’unique ouvrage écrit par Giuseppe Tomasi de Lampedusa, aristocrate et écrivain italien, né en 1896 à Palerme, mort en 1957 à Rome – un an avant la parution du livre – est souvent évoquée par ceux qui gardent leur distance avec le phénomène Macron. Assistons-nous à une » révolution sans révolution » comme fut qualifié le « risorgimento » italien, un » changement sans changement ».
» Si vogliamo que tutto rimanga come é, bisogna che tutto cambia ». En français, la phrase du Guépard se traduit ainsi : » si nous voulons que tout reste comme avant, il faut que tout change. »

Ce ne serait pas la première fois que l’histoire nous joue un de ses tours. Pour qui s’intéresse à la fin des sociétés esclavagistes, dans la Caraïbe, ici en Guadeloupe et ailleurs, l’abolition de 1848, y ressemble : tout changer pour sauver le système. La société esclavagiste était à bout de souffle, elle arrivait à son terme, devenait inefficace, avec les révoltes qui se multipliaient, les idées nouvelles qui faisaient leur chemin: le capitalisme naissant réclamait une autre organisation du travail et de la rentabilité, il fallait que » tout change, pour que rien ne change », c’est à dire abolir – en drapant l’abolition d’humanisme – tout en conservant les grands équilibres des pouvoirs politiques et économiques . Certains assurent que plus d’un siècle et demi après, sous certains aspects, les traces de ces « grands équilibres » ou » grands déséquilibres » sont encore visibles. Mais c’est un autre sujet.

En 2017, il est tentant d’associer à la guerre politique éclair gagnée par le nouveau président de la République française, la phrase du » Guépard » prononcée par Tancréde. Dans le roman, Tancréde est un jeune, opportuniste et cynique aristocrate, neveu et protégé du Guépard, don Fabrizio Salina, prince de la noblesse sicilienne déclinante.
Le vieux prince symbolise l’ancien monde, Tancréde le nouveau : pour que lui-même et sa classe sociale reste au pouvoir, Tancréde fait mine de trahir les siens en rejoignant Garibaldi et la révolution naissante, puis rentre dans le rang et rejoint les vainqueurs. L’ordre social, un temps fragilisé, est sauvé: les nouveaux riches, la bourgeoisie montante à laquelle s’allie Tancréde, succèdent à l’aristocratie déclinante dans une Italie recomposée.
C’est un vieux schéma, fait de rêves brisés : rétablissement de l’ordre initial ou d’un » nouvel ordre » après l’espoir idéalisé d’un monde plus juste.
Le roman de Lampedusa nous dit qu’en apparence plus rien ne sera comme avant: l’ Italie morcelée sera désormais unifiée. Toutefois la caste au pouvoir, a passé le relai à une autre caste assurant une continuité qui ne remet pas en cause les grands équilibres du pouvoir et de l’économie. Lampedusa décrit une accélération de l’histoire, le passage d’un monde à un autre, d’une Italie à une autre, mais dans laquelle les affaires doivent continuer sans remise en cause réelle de l’ordre social, économique et politique. Tout a changé et à la fois rien n’a changé.

Changer, serait faire entrer dans le jeu les exclus de la mondialisation
Est-ce applicable à la France macronienne ? C’est un peu tôt pour l’affirmer car la » messe vient à peine d’être dites » et puis les contextes sont différents, mais on peut chercher des similitudes.
L’usure du pouvoir – tous vieux clans confondus – et l’aveuglement de la caste en place inconsciente de son déclin rendaient un changement nécessaire pour » sauver » les institutions et peut-être la cinquième république, elle-même. Dans la France de 2017, le système politique et les hommes le représentant étaient à bout de souffle, incapables de relever les défis du siècle, comme le vieux prince Salinas et le Royaume des Deux Siciles en 1860 étaient incapables de construire et même d’imaginer une Italie moderne. Le fruit était mûr, prêt à tomber.
Dans son château de la Sarthe, Fillon s’est crû légitime jusqu’à l’impossible, comme un vieil aristocrate confiné dans ses certitudes et déconnecté de la réalité. De ce point de vue d’ailleurs on peut dire que don Fabrizio, l’aristocrate du Guépard est plus lucide que celui de la Sarthe. Conscient de la marche de l’histoire, Fabrizio est mélancolique, nostalgique du passé et ne cède pas à un inutile et pathétique » dernier combat ». Son temps est révolu, il le sait, c’est d’ailleurs ce qui rend ce vieil homme sympathique, il ne s’accroche ni au pouvoir, ni à sa grandeur passée. Ce qui ne fut pas le cas, du malheureux Fillon, vrai/faux aristocrate, cramponné sans dignité au pouvoir.
Le renouvellement générationnel en revanche est une spécificité macronienne. S’il n’y a pas ou peu de renouvellement de classe, il y a réel rajeunissement dans la sphère du pouvoir politique dans la France de 2017. Cela dit, être jeune n’étant pas une valeur, ni un programme politique, tout peut sortir de ce » jeunisme », même un ordre économique et social plus verrouillé et conforme à un néolibéralisme exigeant omniprésent qui réclame une nouvelle organisation des relations sociales. Laquelle est sans doute nécessaire, mais pas à n’importe quel prix: la planète globalisée ne compte pas sept milliards de banquiers, de start-upper et de » bons élèves ». Changer au XXIem siècle cela veut dire faire entrer dans le jeu les exclus de la mondialisation, car pas assez formés ni adaptables – proies de tous les populismes et de toutes les rancoeurs . Ceux qui ont la persévérance de la tortue mais pas la souplesse du guépard ont leur place au même titre que les autres, si rien ne change là, le réveil pourra être brutal.

Les qualités du Guépard : l’accélération et le freinage
Lampedusa a choisi le titre de son livre » Le Guépard » en s’inspirant des armoiries de son grand-père sur lesquelles figurent un » guépard dansant ». Qui est le vrai guépard du livre est-ce le vieux prince Fabrizio ou Tancréde ? Un article de la revue britannique Nature sur l’animal permet cette interrogation. Quelles sont les qualités du guépard ?
Sa vitesse d’abord, il est l’être vivant terrestre le plus rapide, il peut pousser des pointes de vitesse sur 200 ou 300 mètres à 110 kilomètres heures. ( Usain Bolt est à 43,2 kilomètres/h maxi). La revue britannique précise que ce qui fait la force de l’animal et le rend redoutable à la chasse est sa capacité de freinage, d’accélération et de changement de direction. Lancé à 80 kilomètres/heure, il peut freiner en quelques secondes et repartir tout aussi vite dans une autre direction pour atteindre son but, grâce à la puissance de ses pattes. Bref cet animal s’adapte change de cap – vite – si c’est nécessaire.
Alors qui est le Guépard, le vieux prince nostalgique d’un temps révolu, figé dans le passé, ou Tancréde, aristocrate, puis garibaldien, puis légitimiste, en mouvement dans une Italie en mouvement ?
Cette capacité d’accélération, de vitesse, de freinage et de changement de direction, bref cette adaptabilité du guépard évoque quelques épisodes Macron : accéder aux sphères du pouvoir, vite, la banque, l’Elysée, Bercy ; s’allier à un chef, puis le quitter pour changer de cap au moment opportun ; accélérer dans la dernière ligne droite; s’allier à Bayrou puis s’en séparer si la situation devient intenable; puis freiner, Macron a promis avant son élection, d’introduire la proportionnelle, le sujet ne parait plus d’actualité, tout comme l’Europe » qui protège » annoncée et l’Europe qui met en concurrence se télescopent encore ; accélération en revanche sur le code du travail … C’est ainsi, comme si tout pouvait changer à tout moment, vite, et si, comme au temps de ses prédécesseurs, il était possible, au nouveau président de ne pas tenir toutes ses promesses : aller à gauche, virer à droite … Comme la course du guépard. Tout changer et rien changer.
La question étant : où tout cela va mener le pays et nous avec ?

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