Des Noirs pas si Noirs, des Blancs pas si Blancs aux Antilles, rien n’est aussi simple qu’il parait

Cet article, écrit sous un pseudo, est paru dans le webmagazine Creoleway (creoleways.com). Pas si facile de dire les choses en Guadeloupe. Heidi Yossa (ay di yo sa) se traduit en créole par « va leur dire! ». Leur dit quoi ? Qu’en somme ni le Noir, ni le Blanc n’existe vraiment dans la Caraïbe. Les « noiristes » et les partisans de la pureté de la « race blanche » n’apprécieront pas. Tant pis pour eux. La vraie vie est ailleurs.

  » Si on faisait la généalogie de grandes familles béké, on aurait de sacrées surprises !  » C’est l’un des grands tabous aux Antilles : Les ascendances amérindienne et africaine des blancs créoles. L’historien guadeloupéen Frédéric Régent rompt le silence. Ses propos (peu diffusés !) prononcés aux Journées Outre-Mer Développement (JOMD) en septembre 2009 ont fait grincer des dents ceux qui préfèrent à  la complexe réalité historique, des idées simples mais fausses.

Pour l’historien,  » Nos Histoires ne se résument pas à  la période 1635–1848.  » à‰voquant la référence à  l’esclavage, omniprésente dans les slogans et les discours du LKP en février-mars 2009, il regrette que d’autres parties de l’histoire de la Guadeloupe soient peu enseignées.  » C’est comme si il y avait un trou de l’histoire entre 1848 et nos jours. (…) Il y a beaucoup d’éléments qui sont peu explorés « .

En revanche, Frédéric Régent relève le foisonnement  » … d’ouvrages de vulgarisation historique destinés au grand public qui ont soit une vision partiale ; soit une vision partielle de l’histoire. » Quand on aime la Guadeloupe, ou la Martinique, peut-on se satisfaire qu’autant de contrevérités (volontaires ou non réactualisées) soient aussi largement diffusées dans nos librairies, et pire, largement reprises par nos journalistes voire par certains enseignants ?

Sur la question du métissage, il insiste : Dès le départ [de la colonisation] il y a du métissage dans nos colonies.(…) Mon ouvrage Esclavage, métissage, liberté montre que, en fait, les blancs ne sont pas blancs ! Les blancs sont des hommes blancs qui se métissent avec des femmes soit amérindiennes, soit africaines. Au bout de deux ou trois générations d’immigration masculine blanche (…) leurs descendants apparaissent comme étant complètement blancs. Et si on faisait la généalogie de grandes familles béké, de manière objective, ben on aurait de sacrées surprises !

Des blancs pas si blancs…

Aux débuts de la colonisation, les femmes amérindiennes et africaines ont permis aux blancs européens d’assurer leur descendance. Les békés, qui descendent de ces premiers colons, pâtissent aujourd’hui de la négation du métissage dont ils sont forcément issus. Dans un système ou la couleur noire était assimilée au statut d’esclave, il n’y avait rien de glorieux à  avouer une quelconque ascendance africaine. Encore aujourd’hui, la question dérange. Bien que certains aient transmis leur nom à  leurs enfants métis, la plupart des békés ayant  » fauté  » avec une personne de couleur étaient exclus de la  » bonne société  » et de l’aristocratie coloniale. Le Code Noir, qui régissait le calvaire des esclaves, fut aussi conçu pour empêcher l’augmentation du métissage, véritable danger pour ce système esclavagiste basé sur la séparation nette entre Blancs et Noirs.

En dépit du racisme institutionnalisé à  l’encontre des Noirs durant l’esclavage, Frédéric Régent martèle qu’en pays créole comme ailleurs, la pureté de la race, (qu’on soit blanc ou noir) n’est qu’une illusion :  » l’historien peut démontrer que c’est une ineptie ! Au-delà  de ce que peuvent dire les généticiens (qui affirment que les races n’existent pas), les généalogies des familles montrent un profond métissage des sociétés.  »

L’histoire est un instrument pas une science exacte

L’auteur met toutefois en garde : le métissage n’est pas un remède au racisme. Pour l’historien, on peut toujours reconstruire des catégories de couleur fondées par exemple sur la richesse économique. Un proverbe créole l’affirme :  » un mulâtre riche est un blanc ; un mulâtre pauvre est un noir ». Dans le regard des gens,  » Le maghrébin des cités n’a pas la même couleur que le magnat du pétrole.  » Sourit-il.  » L’histoire est un instrument, pas une science exacte. A tout moment de nouvelles découvertes remettent en cause ce qui a été écrit dans le passé.  » D’oà¹, selon lui, la nécessité de faire une recherche approfondie, objective et d’en vulgariser les résultats.

Interrogé par Michel Reinette sur le « verbiage idéologique » du LKP, qui, parallèlement à  ses demandes de rattrapage social avec la métropole, voulait  » mettre les blancs dehors « , Frédéric Régent, membre du LKP lui-même, n’élude pas la question : Tout en affirmant que les inégalités recoupent une réalité ethnique en Guadeloupe, l’historien critique l’utilisation de la race comme élément clivant et mobilisateur;  » J’ai été très surpris pendant le mouvement de LKP en tant qu’historien de voir la manière dont l’histoire a été instrumentalisée… Ce qui doit interpeller le plus, c’est que la population se mobilise par rapport à  ce discours. Il ne faut pas que ce soit non plus l’arbre qui cache la forêt ! « . En clin d’Å“il à  son ouvrage Esclavage, métissage, liberté, il note que parmi les leaders du LKP, on trouve aussi des métis, fruits de notre histoire complexe.

Et des noirs pas si noirs…

Ceux qui ne connaissent de nous que des clichés s’étonnent souvent de la variété du métissage aux Antilles. C’est que, dans nos sociétés nées des horreurs de l’esclavage et de la colonisation, Blancs et Noirs n’ont cessé de se métisser malgré la barrière du racisme. Et contrairement à  une idée répandue, s’il arrivait que des Blancs abusent de leurs esclaves Noires, expliquer le nombre impressionnant de mulâtres aux Antilles par un viol de masse à  grande échelle, qui plus est sur une durée aussi longue, est totalement absurde et insultant pour l’ensemble de nos populations.

Aux Antilles, rien n’est jamais aussi simple qu’il n’y parait. Ainsi, parmi les idoles du LKP, certains békés figurent en bonne place : Simon Bolivar, José Marti, Fidel Castro ou Che Guevara sont des blancs créoles, des descendants de colons. Louis Delgrès, libre de couleur, héros de la lutte républicaine de 1802, est le fils légitime d’un béké.

Par ailleurs, et c’est un autre tabou, beaucoup de Noirs Antillais sont des descendants d’esclaves affranchis. Certains d’entre eux, (pas la majorité mais un nombre non négligeable), devinrent, (comme Toussaint Louverture à  Haïti ou le légendaire Ignace en Guadeloupe) propriétaires d’esclaves ou de plantations à  esclaves. Ils divergèrent des Blancs, parce qu’ils devenaient des bourgeois ambitieux, mais aussi parce qu’ils exigeaient la pleine citoyenneté française. Cette compétition finira mécaniquement par les hisser à  la tête des révoltes contre la métropole.

Par son désir d’exploration sans oeillères de l’histoire, le chercheur acharné qu’est Frédéric Régent démontre qu’un enseignement de la question de l’esclavage, dans toute sa complexité, est d’une impérieuse nécessité. On ne peut que regretter que son oeuvre soit insuffisamment diffusée dans les médias et totalement inexploitée par les acteurs culturels aux Antilles.

Auteur/autrice : perspektives

Didier Levreau, créateur en 2010 du site Perspektives, 10 ans d'existence à ce jour