En Guadeloupe, les chiffres de la violence et du temps passé devant la télé sont-ils liés ?

Des chiffres montrent qu’un enfant qui regarde la télé passe en moyenne par an, 1368 heures devant la télé en France et
1 825 heures devant la télé en Guadeloupe ( soient 76 journées de 24 heures par année ou encore si il s’agissait de journée de formations de 8 heures, cela représenterait 228 jours de formation par an.) En somme, plus de temps devant la télévision qu’à  l’école.

 Dorénavant à  la lecture des journaux, à  l’écoute de la radio, à  l’allumage de la télévision l’on se trouve exposé à  l’annonce dune mauvaise nouvelle qui pourrait concerner une de nos connaissances ou sinon quelqu’un qui nous est cher. La lecture d’un article rapportant un fait de violence provoque une légère angoisse qui s’accentue au fur et à  mesure que l’on approche de la zone o๠que l’on dévoile l’identité des victimes.

Tout le monde est réellement surpris par l’ampleur du phénomène dans notre département, et même si l’on entend par ci en Martinique, par là  en Métropole ou par ailleurs aux Etats-Unis faire mention de faits de violence du même ordre que ceux observés chez nous on a le sentiment d’assister à  l’émergence d’un phénomène nouveau et qui à  force de désorienter tout le monde, ne

fait qu’alimenter un questionnement récurrent sur l’origine de cette violence.

Pourtant des chiffres sont là , leur interprétation souvent est faite depuis longtemps, les autorités en ont connaissance mais même si les chiffres sont connus, on dirait qu’il semble impossible, incongru , inexact et injuste de les exposer en plein jour et de leur accorder la crédibilité qu’ils sont en droit de revendiquer.

LES CHIFFRES

Durée de visionnage de la télévision : en Guadeloupe en Avril-Juin 2012 (rapport de MetriDom) (1): 4h59 minutes pour les 13 ans et plus ; en Métropole la durée est de 3h47 minutes pour les 4 ans et plus (Rapport Médiamétrie 2012) (2).

Un rapide calcul nous montre qu’un enfant qui regarde la télé passe en moyenne par an : 1368 heures devant la télé en France Métropolitaine ; 1 825 heures devant la télé en Guadeloupe (soient 76 journées de 24 heures par année ou encore si il s’agissait de journée de formations de 8 heures, cela représenterait 228 jours de formation par an.)

La durée d’une année scolaire en nombre d’heure est : (source Ministère de l’éducation nationale)

à  l’école élémentaire : 864 heures soit 47% du temps passé face à  la télé ; au collège : 1 080 heures soit 59% du temps passé face à  la télé au lycée : 1 440 heures soit 79% du temps passé face à  la télé

Ecole et télévision, une lutte d’influence
Dès lors au vu de ces chiffres, il n’est pas raisonnable de se demander qui de l’école ou de la télévision éduque et/ou influence le plus nos enfants.

NB :Une précision s’impose toutefois avant de poursuivre plus avant :  » Le propos de cet article n’est pas de dire que la télévision est la cause de toutes les violences de la société Guadeloupéenne, mais une chose est s ûre : c’en est une cause indéniable.  »

En 1994, on recensait sur les chaînes nationales près de dix scènes de violence par heure. C’est-à -dire que quelqu’un qui regarde la télé en Guadeloupe observerait en une année 1 825 heures X 10, soit 18.250 scènes de violence.

Le rapport Blandine KRIEGEL (3) » la violence à  la télévision » (à  Jean-Jacques Aillagon, ministre de la Culture et de la Communication – 2002) est connu pour son sérieux et l’objectivité dont il a su faire preuve. Les extraits qui suivent peuvent sembler exagérés mais il s’agit bien d’extraits originaux :

Page 15(3) :  » Une enquête réalisée par l’UNESCO en 1998 dans 23 pays auprès de 5000 jeunes de 12 ans indiquait que ceux-ci y consacraient quotidiennement trois heures en moyenne, soit 50% plus de temps qu’à  n’importe quelle autre activité. Selon cette même enquête, cinq à  dix scènes de violence seraient diffusées par heure. En France, une enquête quantitative du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel réalisée en 1994 avait répertorié près de dix scènes violentes par heure dans les fictions des chaînes nationales.  »

Sur la capacité de la télévision à  susciter de la violence, je citerai trois extraits du rapport Kriegel:

page 16(3) :  » Les résultats ont montré que chez les garçons, des émissions suivies à  8 ans étaient liées de manière modeste à  un indicateur d’agressivité onze ans plus tard . Huesman et Eron ont également mis en évidence que les garçons qui avaient vu beaucoup d’émissions violentes à  8 ans avaient, à  30 ans, un casier judiciaire plus chargé que les autres. Ces effets n’étaient pas réductibles à  des facteurs comme la classe sociale dessujets, leur fonctionnement intellectuel ou les styles éducatifs de leurs parents. »

page 17(3) :  » Joy et ses collègues (1986) ont étudié l’agressivité d’enfants juste avant l’introduction de la télévision, et deux ans après, dans une ville canadienne, en comparant es évolutions des enfants de deux autres villes similaires recevant une seule chaîne

canadienne et trois chaînes américaines. Les résultats indiquaient que l’agressivité physique avait augmenté de 160% deux ans plus tard dans la ville o๠avait été introduite la télévision (tandis qu’elle avait augmenté beaucoup plus faiblement dans les autres villes). »

page 27(3) :  » La vision d’une scène violente ou la réalisation d’un tabou sexuel donne une fausse impression de déjà  vu et de déjà  fait pas sanctionné, et donc permis, et libère l’esprit de l’interdit. Toute l’élaboration mentale de l’interdit plus ou moins acquis au cours de l’enfance vole en éclats dès lors qu’il est transgressé sous ses yeux. En effaçant les limites entre l’imaginaire et la réalité, en banalisant les scènes agressives et les actes interdits, voire en les érigeant en normes, on invite le spectateur à  y participer, on lui donne l’illusion de l’avoir réalisé et d’avoir transgressé l’interdit : la transgression devient alors permise.  »

Le boycott télévisuel pour résister à  la spirale de la violence
Ainsi donc au travers de la télévision nous avons identifié une cause certaine de la violence. Dès lors la seule vraie question est donc de savoir comment faire pour changer cet état de fait. Qu’est-ce qui dans nos comportements pourrait contribuer à  faire baisser cette spirale de la violence ?

Deux angles d’attaques doivent être envisagés :

Au niveau individuel : En prenant du recul pour analyser la chose l’on observe que nous sommes dans une situation o๠la violence se nourrit de certains programmes télévisuels. Or non seulement, les annonceurs ont remarqué que les téléspectateurs sont friands de programmes violents mais de surcroît certaines études (4) ( » Acute exposure to stress improves performance in trace eyeblinkconditioning and spatial learningtasks in healthy men « ) montrent qu’en soumettant un individu à  des situations de stress extrêmes cela améliore ses capacités mnémoniques et donc il devrait d’autant mieux retenir les annonces publicitaires qui feront suite à  ces situations de stress.

En synthèse la télévision nourrit la violence et la violence nourrit la télévision.

Nous sommes donc dans une boucle qui ne fera que s’amplifier. Dès lors la question est de savoir que faire la réponse ne peut-elle être autre que :  » sortir de cette boucle « .

Pour diminuer le taux de violence en croissance manifeste, il faut que chacun et de façon systématique boycotte les films et les programmes violents. Il faut que nous prenions conscience que certains programmes que nous regardions habituellement que nous

considérions comme non-violents sont violents (des séries comme « madame le juge » par exemple, les actualités sous prétexte d’informer, les télénovelas qui ne font qu’égréner des violences affectives sentimentales ou psychologiques.) Il faut le faire non seulement à  notre niveau personnel à  nous, mais aussi et surtout vis-à -vis de nos enfants. Il en va de l’avenir de notre société Guadeloupéenne…. Il faut prendre du recul et considérer que la violence la plus banale elle-même n’est pas acceptable. Il ne s’agit pas de ne condamner que Kill Bill et autres Rambo mais aussi toutes ces séries et tous ces évènements qui banalisent la

violence qui la rendent propre mais qui finissent par la légitimer.

Je suis d’accord pour dire il ne restera plus grand-chose à  regarder mais c’est le prix à  payer pour passer d’un cercle vicieux à  un cercle vertueux car il faut forcer le business à  bannir la violence. Toute autre attitude de déni serait une forme de complicité passive envers ce cycle de la violence.

Bien évidemment cela ne se fera pas sur 1 ou 2 ans mais sur un cycle beaucoup plus long : 5, 10, 15 ans mais encore une fois on ne s’en sortira pas autrement car bien que spectateurs nous sommes totalement acteurs de cette télévision mortifère.

AU NIVEAU INSTITUTIONNEL

On pourra répondre que la réponse institutionnelle est déjà  prévue via le CSA. Pour informations il y a ce que fait le CSA (à  quoi sert le CSA ?) et ce qu’il ne fait pas (site internet du CSA) (5):

« Ce que ne fait pas le CSA :

Le CSA n’est pas un organe de censure : il n’intervient jamais auprès d’une chaîne de télévision ou d’une station de radio avant la diffusion d’un programme. Même s’il est attentif aux réactions des téléspectateurs, le CSA ne peut pas, en raison de la liberté éditoriale dont disposent radios et télévisions, demander de rétablir une émission supprimée, de programmer plus ou moins de films ou d’émissions de variétés, de moins rediffuser certains programmes »

Regarder la télévision nuit gravement à  … .

L’analyse doit être la suivante : nous sommes face à  un danger ou, comme pour le tabac c’est le consommateur lui-même qui se met en danger.

Il y a de cela 30 ans, il n’était pas envisagé d’avoir une réponse institutionnelle aux méfaits du tabac, beaucoup de gens mettaient en doute la corrélation statistique entre les conséquences du tabac et le nombre de cancer du poumon. Il a fallu un grand renfort

d’études, en ressortir un grand nombre de placards pour finalement se rendre compte que tout y était déjà  démontré. Seulement à  cette époque le public n’était pas prêt à  remettre en cause pour qui, une tradition culturelle, pour qui un petit plaisir sain, pour qui une marque d’affirmation. Il a fallu attendre que progressivement l’écoute du public se fasse puis qu’électoralement parlant cela puisse passer sans faire trop de dégats afin que l’on puisse légiférer contre les distributeurs de tabac.

Aussi, je pense que le combat est du même ordre et que de même on voit sur les paquets de cigarettes quelques soient leur marque : « fumer tue  » on devrait afficher sur tous les écrans de téléviseur :  » regarder la télé tue ! « ,  » regarder la télé nuit gravement à  la sécurité « ,  » regarder la télé favorise la violence  »

WEBOGRAPHIE :

(1) http://www.mediametrie.fr/television/communiques/l-audience-de-la-television-en-guadeloupe-martinique-et-a-la-reunion.php?id=690

(2) www.csa.fr/index.php/content/download/23834/363121/file

(3) http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/024000584/index.shtml

(4) http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1876756/

(5)http://www.csa.fr/es/El-CSA/El-Conseil-superieur-de-l-audiovisuel-CSA/A-quoi-sert-le-CSA

L’institut Remy Nainsouta organise en Guadeloupe deux café-débats sur le thème :

Télévision et Internet, quelles influences ?

le 24 octobre à  18h30 au centre ressources des Abymes ( en face le stade)

le 26 octobre, à  18h30, à  la médiathéque Albert Béville à  Basse-Terre.

Auteur/autrice : perspektives

Didier Levreau, créateur en 2010 du site Perspektives, 10 ans d'existence à ce jour