L’histoire des loisirs a moins d’un siècle à  méditer en ces temps de vacances

Il était inimaginable au 19em siècle de penser payer des personnes  » à  ne rien faire « . Dans la Caraïbe, en Amérique du Nord et du Sud, l’esclavage sévissait ; en Europe le travail des enfants n’étaient pas interdit, il n’a été réglementé que dans la deuxième moitié du siècle. Aux Etats-Unis, il a fallu attendre 1843 pour que des Etats industriels comme le Connecticut et le Massachussett, limitent le travail des enfants à  dix heures par jour. En ces temps, la règle était plutôt inverse: payer peu beaucoup de temps passé au travail, ou pas du tout. Le travail des enfants faisait baisser le salaire des adultes, pour d’interminables journées de labeur. En France c’est le Front populaire avec les premiers congés payés qui semblent avoir fondé le temps des loisirs. La France n’est toutefois pas le seul pays « ‘inventeur » des vacances pour les salariés.

Dès le début du 20eme siècle en Allemagne et en Norvège on a commencé à  en parler et à  les mettre en application, avec cette idée, progressiste pour l’époque et incompréhensible à  une partie du patronat : la productivité est meilleure quand la vie des ouvriers est à  la fois plus sereine et plus équilibrée. En Amérique du sud, le Chili et le Brésil ont avancé sur le sujet dès la première moitié du 20eme siècle. Le plus emblématique dans l’histoire des conquêtes sociales n’en reste pas moins le Front populaire qui a associé aux deux semaines de vacances annuelles, la semaine de quarante heures. Premiers loisirs, premiers voyages d’agrément.

Cette histoire est récente, moins d’un siècle. Si récente qu’elle n’a pas gommé entièrement la culpabilité qu’associent encore certains d’entre nous à  l’oisiveté. Des vacances oui, mais pas à  ne rien faire. Elles doivent être studieuses ou laborieuses, culturelles ou sportives en tout cas actives. Alors que l’oisiveté, si l’on réfléchit bien, est utile à  l’homme autant qu’à  la société. C’est dans les moments d’oisiveté, de latence de l’esprit, de réflexion intérieure, de retour sur soi-même que des idées neuves peuvent naître, des remises en cause, de nouvelles expériences et des prises de conscience sur les échecs et les réussites d’une vie. Dans un mouvement perpétuel qui ne laisse aucun repos, l’homme n’a pas le recul pour mesurer les bons chemins ou les impasses qui s’ouvrent.

Eloge de l’oisiveté

La notion de loisirs en ces temps de vacances nous amène à  conseiller la lecture d’un très court texte de Bertrand Russell, mathématicien, philosophe, homme politique anglais mort en 1970. Pacifiste, opposé à  la guerre du Vietnam, il fut assez proche des idées socialistes mais trop libertaire pour ne pas critiquer avec vigueur en son temps le socialisme scientifique tel que les Russes ont tenté de l’appliquer.

« Eloge de l’oisiveté » publié pour la première fois en 1932, est un petit ouvrage de quarante pages facile à  lire et à  transporter, idéal pour la plage ou la randonnée.

Que dit Russel ? En deux mots que la valeur du travail est un préjugé moral des classes privilégiées qui estiment que l’oisiveté condamnent à  la dépravation les classes laborieuse. En somme :  » s’ils travaillent pour nous, si nous les exploitons un peu, c’est pour leur bien, car sinon que feraient-ils de leur temps ? » C’est légèrement provocateur, il faut le resituer dans l’époque, mais ce n’est pas dénué de fondement, même aujourd’hui.

Russell écrit encore: « L’idée que les pauvres puissent avoir des loisirs a toujours choqué les riches » et il décrit ces  » propriétaires fonciers qui parce qu’ils possèdent la terre sont en mesure de faire payer aux autres le privilège d’être autorisés à  exister et à  travailler. Ces propriétaires fonciers sont des oisifs et on pourrait s’attendre à  ce que j’en fasse l’éloge. Malheureusement, leur oisiveté n’est rendue possible que par l’industrie des autres ; en fait leur désir d’une oisiveté confortable est, d’un point de vue historique, la source même du dogme du travail. La dernière chose qu’ils voudraient serait que d’autres suivent leur exemple. »

Bertrand Russell estimait que les progrès techniques et technologiques devraient libérer l’homme, en réduisant son temps de travail à  quatre heures par jour grâce à  une répartition plus équitable des tâches et des richesses produites. Le temps libéré dans cette société rêvée devait servir, selon le philosophe, à  se cultiver, s’occuper de sa famille, ses amis, ses hobbies. La semaine de 20 heures pour tous en somme : belle utopie, en ces temps de  » travailler plus pour gagner plus  » qui en fin de compte ont mal tourné.

Ce texte a été écrit il y a 70 ans. Depuis la mort de Russell les progrès techniques n’ont pas cessé, mais les choix économique et politique à  l’échelle mondiale ont conduit à  une concentration toujours plus grande du travail et de la richesse produite par le travail. Le travail disparait, écrase certains, fuit les autres, et les bénéfices financiers augmentent, de crise en crise.

Bref ce petit texte iconoclaste, décalé et sonnant parfois juste ( on ne peut douter que Bertrand Russel ait été par ailleurs un gros travailleur ) vaut d’être lu.

Bonnes vacances.

NDLR: Selon les chiffres de l’Organisation internationale du travail 4 milliards de Terriens en ce début de 21e siècle bénéficient de congés payés. Ce qui signifient que quelques milliards attendent encore.

Mais la répartitioh est inégale : 20 jours par an en Suisse, contre 28 au Royaume-Uni et 35 en France, mais 39 en Finlande. Aux Etats-Unis il n’y a pas d’obligation légale à  donner des congés, un quart des salariés nord-américains n’en ont pas. Pour les autres la moyenne est deux semaines annuelles. Au Brésil les congés payés varient de quatre à  cinq semaines.

Il n’y a pas d’obligation légale en Chine, les Chinois qui en bénéficient ont de 21 à  28 jours par an.

Auteur/autrice : perspektives

Didier Levreau, créateur en 2010 du site Perspektives, 10 ans d'existence à ce jour