Histoire bête

Le texte que nous a envoyé Dominique Domiquin est surprenant. Une histoire de bête au fond pas si bête. C’est bon pour réfléchir un peu pendant les vacances. La générosité, c’est quoi ? O๠va-t-elle parfois ce cacher ? Ceux qui en font profession, qui en parlent le plus ne sont pas forcément les plus exemplaires, pour comprendre il faut lire l’histoire jusqu’à  la fin. Mon zigue débarque l’autre jour, catastrophé. Son furet n’a plus d’appétit, se terre dans un recoin du salon et ne reconnaît plus personne. Nous sautons en voiture et quelques minutes plus tard, nous déboulons avec l’animal quasi catatonique dans l’officine bondée d’un vétérinaire. L’homme de l’art palpe la bête, la soupèse, la retourne en hochant la tête : « Hum, inquiétant en effet» Blême, mon ami demande : « Alors docteur ? C’est grave ? » Lisant la même angoisse dans les yeux du maître et dans ceux du patient, le véto nous entraîne en salle d’op’. Il sort un thermomètre : « Forte fièvre, poil et yeux jaunâtres. Le problème, voyez-vous, c’est que nous connaissons assez mal ces animaux. Vous m’auriez amené un chien ou un perroquet, je ne dis pas. Aujourd’hui on

trouve de tout dans les animaleries ! »

Quelques prélèvements sont effectués et placés en centrifugeuse. Un assistant nous demande de tenir la bête pour une échographie. Tandis qu’on rase délicatement le furet, je réprime de justesse un « Tou sa zafè pou on bèt ! »

L’heure est grave. C’est l’ami de mon ami qui gît sur cette table, l’oeil révulsé. Après avoir enduit de gel le ventre glabre du furet, le véto promène dessus ce petit appareil bien connu des femmes enceintes. Mon bougre et moi sommes, pour des raisons très différentes, au bord de l’asphyxie. « C’est ce que je pensais, le foie ! Voyez vous-mêmes » Sur l’écran de contrôle, le docteur

désigne une petite boule informe, piquetée de trous. Dare-dare, il concocte une mixture qu’ il injecte au patient presque inconscient. « Si nous avons de la chance, ce n’est peut-être qu’une jaunisse. En revanche, si ce traitement ne marche pas. Eh bien, c’est que votre furet à  un cancer.» J’ai envie de hurler « Ben voyons ! On lui fera une chimiothérapie ! » Mais je me tais.

Et si la Guadeloupe n’était peuplée que d’égoïstes

Une bonne heure plus tard, en sortant de la pharmacie, mon zigue me demande si je connais quelqu’un pour la piq ûre hebdomadaire prescrite par le vétérinaire. J’ai du mal à  admettre qu’il se laisse flinguer si facilement de 90 euros. Tou sa pou on bèt ! Et qu’il envisage, en plus des médocs, de payer au furet les soins réguliers d’un infirmier à  domicile !

Dans la voiture, mon pote me dit qu’il s’en veut de n’avoir pas réagi plus tôt. Je regarde le furet endormi sur mes genoux. Son coeur bat doucement. Suis-je un monstre, moi qui n’aime que les chats créoles, les matous de gouttière qu’on ne voit qu’une fois par semaine, et encore ? Un matou, ça ne compte sur personne et ça guérit tout seul ses blessures en se léchant. Un matou, quand ça meurt un jour d’on ne sait quoi, il suffit de creuser un trou sous un massif d’allamandas, de le mettre dedans, et hop ! On reprend un matou neuf et on a de belles fleurs en prime. Car enfin, comme dit ma grand-mère : Moun paka lévé bèt initil !

Arrive un clochard qui tapote sur la vitre et demande 2 euros pour manger. Je me raidis. Généralement quand cela se produit, je réponds : « An péké baw lajan mé vini-w èvè mwen, an ka achté manjé-la baw ». La plupart du temps, le clochard m’injurie et se passe de déjeuner. Mon pote sent venir le coup. Il fouille son porte-monnaie et glisse une grosse pièce au type avant que j’aie pu dire « ouf ! »

Alors je braille, j’explose, lui dis que, décidément, y a pas moyen avec lui ! Qu’il est trop, bon. Que ce type-là  est visiblement un pawo qui va courir s’acheter sa dose pour se défoncer royal à  notre santé. Que d’ailleurs, on n’arrête pas d’abuser de sa gentillesse et que dans le monde d’aujourd’hui, y compris en Guadeloupe, la gentillesse passe couramment pour de la connerie.

Là -dessus, mon pote me regarde calmement et me répond « Tu t’es déjà  demandé à  quoi ressemblerait la Guadeloupe si elle n’était peuplée que d’égoïstes ? » J’ai cru un instant qu’il allait dire « que de gens comme toi ».

Toute la journée ce truc m’a trotté dans la tête. C’est vrai quoi : Ce département bat des records de chômage. Excepté le travail de quelques associations et médecins dévoués, nos toxicos sont traités dans des hôpitaux psychiatriques qui ne sont pas faits pour eux. Nos vieux sont de plus en plus isolés, et mon pote, un type respectable, intelligent, expérimenté, sérieux, pas friqué pour un sou, fait tout ça pour un, pour une, pou on bèt ?

Je passe un coup de fil à  une copine qui comme moi possède un chat. Je lui raconte l’histoire en taisant l’identité du propriétaire du furet. Plutôt que de ricaner et de me donner raison, voilà  qu’elle fond en larmes : « Comme c’est triste, un cancer. Mais quel âge a-t-il ? » (Je me tortille à  l’autre bout du fil) « Tu sais, tu peux bien me l’avouer qu’il s’agit de ton vieux matou.» (Je me sens très fatigué) « C’est bizarre que tu parles de ça. Figure-toi que j’ai fait faire des radios au mien il y a juste deux semaines. Je lui avais senti une petite excroissance au niveau du thorax. Ben ça n’a pas raté ! Il avait une côte cassée qui s’est consolidée de travers suite à  une mauvaise chute l’an dernier. Je ne m’en étais pas aperçue. Le docteur dit qu’il ne souffre pas.

– Et disons que tu t’en sois rendue compte à  temps ?

– Ben ! Sakré kouyon ! Je l’aurais fait soigner ! Tu connais mon cousin ? Tu sais, celui qui est plombier ? Il a un bâtard créole/siamois. Hé bé, il le fait dialyser régulièrement.

– ?

– Ecoute, si tu as besoin d’argent pour ton chat,enfin, ton furet. Enfin le furet de ton copain, quoi. Je veux dire : pour qu’il finisse sa vie dans de bonnes conditions. Je suis là .»

Ce matin, sans trop savoir pourquoi, je pensais au directeur d’une association caritative bien connue qui s’est acheté un beau bateau en détournant les dons de guadeloupéens solidaires (Une association à  laquelle je continuerai de donner ; on ne condamne pas un arbre pour un seul fruit pourri). Tout en me demandant ce qui a bien pu pousser cet homme à  commettre un tel délit, j’ai minutieusement inspecté mon matou. Je lui ai trouvé des puces et pas mal de vieilles blessures mal soignées. Depuis quelque temps, je trouve qu’il n’a pas la pêche, si je l’emmenais voir le docteur ?

Auteur/autrice : perspektives

Didier Levreau, créateur en 2010 du site Perspektives, 10 ans d'existence à ce jour