BIODIVERSITÉ, L’OR VERT DE LA GUADELOUPE

En ces temps de couvre feu et de morosité ambiante nous publions cette semaine un texte qui se veut optimiste pour les années futures. Quel est l’avenir d’un archipel comme la Guadeloupe ? Il est possible d’imaginer le pire entre réchauffement climatique, montée des eaux, chlordécone, pandémie, crise sociale et faillites à la chaîne. Et puis il est possible de voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide: le potentiel réel de cet archipel au milieu de l’arc caraïbe tel qui pourra être exploité lorsque le monde en aura fini du covid.
L’auteur de ce texte est Teddy Bernadotte, chargé de cours à l’université des Antilles, mais aussi directeur de cabinet du président de Région. Il trace des perspectives pour la Guadeloupe et pose quelques bonnes questions:  » qui aura la maîtrise de la gestion de la biodiversité en Guadeloupe et quelle autorité délibérera sur l’accès à ces ressources? » Dans une jolie formule il évoque la  » domiciliation de la décision » qui devrait être  » la plus locale possible ». L’essentiel réside peut-être dans ce  » possible » !
D.L

Les régions ultramarines sont des atouts incontestables pour la France parce qu’elles recèlent une grande partie des richesses naturelles de la nation. C’est grâce à ces territoires d’outremer que la France est présente dans 4 des 34 « points chauds » de la biodiversité mondiale : Caraïbes, Océan Indien, Polynésie et Nouvelle-Calédonie. C’est aussi grâce aux outremers que la France dispose de la seconde Zone Économique Exclusive (ZEE) la plus étendue au monde.
La création de la première Agence Régionale de la Biodiversité (ARB), dans notre région, est une excellente nouvelle porteuse d’avenir.
La création de l’ARB, en février 2021, portée par l’équipe régionale, est le fruit d’un travail de longue haleine. Celui-ci a débuté par le dépôt d’un amendement (N° 344) adopté le 22 juin 2016 par l’Assemblée Nationale lors de la discussion du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Cette proposition avait pour vocation de garantir aux régions ultramarines des avantages en rapport avec leur apport au patrimoine national, afin de leur permettre de trouver les ressources nécessaires à la protection et à la valorisation de leur biodiversité fortement dégradée par les conséquences du changement climatique. Elle devait aussi assurer une meilleure représentation de nos territoires au sein de l’Agence Française de la Biodiversité (AFB).
Alors même que les territoires ultramarins représentent 80 % de la biodiversité française, le mode de gouvernance choisi pour l’AFB n’assurait pas une place adéquate aux élus, aux spécialistes et aux universitaires de ces territoires. Il aura fallu beaucoup de détermination, une réunion de la dernière chance, au Ministère de l’Écologie, sous l’égide de la Ministre Ségolène ROYAL, un certain mécontentement des élus présents et des populations concernées pour aller dans le sens d’une plus juste représentation.
Cette Agence Régionale de la Biodiversité, qui prend forme aujourd’hui, regroupera l’Agence des aires marines protégées, l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques, les Parcs nationaux de France, et prévoit des collaborations avec d’autres établissements. Elle doit servir les objectifs politiques de conservation, de gestion et de valorisation de la biodiversité, tout en soutenant une conception dynamique et fonctionnelle de la biodiversité, en interaction avec les activités humaines.

Une chance pour notre archipel !
Coïncidence ou alignement des planètes, cette ARB prend naissance au moment même où le Docteur Henry JOSEPH présente une voie inédite de lutte contre le COVID-19, basée sur nos plantes médicinales locales. On notera avec satisfaction que le patron du laboratoire Phytobokaz, grand visionnaire s’il en est, a creusé un sillon. Grâce à son travail, il a vulgarisé l’utilisation des plantes, au titre de produits alimentaires (produits agro-transformés), d’huiles essentielles, de cosmétiques ou de médicaments, et obtenu, avec d’autres, la reconnaissance de la pharmacopée ultramarine. Il a démontré que ce secteur d’activités constitue un pilier majeur pour le développement économique des TPE et PME en outre-mer. Si Henry JOSEPH a ouvert la voie, d’autres s’emploient à élargir les sentiers. Et c’est avec fierté que l’on doit noter l’apparition d’une nouvelle génération de chercheurs très prometteuse pour l’avenir du pays. À ce propos, le travail de recherche du jeune chimiste guadeloupéen Damien BISSESAR doit être, ici, souligné. Il en va de même pour celui de Laura ACCIPE dont la problématique de thèse est d’étudier les extraits de Galba qui possèderaient des actifs bénéfiques sur différentes cibles identifiées comme responsables du retard de cicatrisation chez les diabétiques.
Encourageante aussi la voie empruntée par Yasmina LEGROS. Ingénieure chimiste, elle a eu l’excellente idée de rentrer au pays pour créer son entreprise de cosmétiques. Pour cette militante du 100 % naturel, cela signifie la création d’une marque écoresponsable qui utilise des produits et des déchets issus de la nature. Elle a modernisé l’utilisation de matières premières comme la carapate ou le coco que ses parents utilisaient jadis pour soigner sa peau et ses cheveux. Résultat, après beaucoup de travail, sa marque propose des huiles végétales pour des soins du corps, du visage et des cheveux.
Ces exemples nous démontrent que notre jeunesse est prête à relever le défi de l’économie du 21e siècle, fondée sur l’innovation, et l’exploitation (raisonnée) de nos richesses naturelles.
Aussi, c’est avec la même satisfaction qu’il faut enregistrer l’adhésion de Baie-Mahault et de Basse-Terre à la charte de territoire du Parc National de la Guadeloupe (PNG). Comme 18 autres communes, elles ont opéré le choix de s’impliquer dans le projet de territoire proposé par le Parc en faveur de la protection des espaces naturels et du développement durable. Elles pourront s’appuyer sur cette institution pour mettre en œuvre des actions de valorisation de leur patrimoine et de soutien aux opérateurs locaux. Pour Baie-Mahault, située au cœur du Grand Cul-de-Sac marin, comme pour Basse-Terre, ville-capitale ouverte sur les plus beaux espaces naturels forestiers, rejoindre le Parc national constitue un acte symbolique fort. Mais, au-delà des actions menées par les institutions, il est à noter un fort engagement de l’opinion porté par des associations et des citoyens très mobilisés. La majorité de ceux-ci semble désormais consciente de l’opportunité que constitue notre biodiversité, si nous parvenons véritablement à nous l’approprier. Et, sans doute, les nominations de Valérie SENE à la tête du Parc national et de Mylène MUSQUET à l’Office national des forêts devraient nous aider à aller encore plus loin dans l’indispensable mobilisation que commande l’avenir.
Dynamique vertueuse et bel élan citoyen !
Cette dynamique vertueuse qui se dessine, pas à pas, concerne également les richesses de la mer, de nos fonds marins. La modernité apportée par la croissance bleue passe par l’accueil et l’accompagnement d’entreprises innovantes intéressées par les ressources minérales sous-marines, les cultures marines, notamment les micro-algues, ainsi que les formes d’énergies produites par le milieu marin.
En Guadeloupe, nous devons avoir conscience de disposer d’une faune et d’une flore exceptionnelles. Nous possédons une réserve biosphère, classée zone Ramsar (1). Notre biodiversité recèle un véritable trésor et nous autorise à penser que, pour les futures générations, nous devons la protéger et l’optimiser, puisqu’elle représente un des leviers les plus puissants du développement et de la croissance économiques des prochaines années. La majorité de nos concitoyens semble désormais acquise cette cause et consciente de l’opportunité que constitue notre biodiversité, si nous parvenons véritablement à nous l’approprier (2)
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Vers une transition maîtrisée localement
Mais, certaines questions posées dès le vote de la loi demeurent sans réponses et l’Agence
Régionale de la Biodiversité, pour être utile et crédible, devra y répondre rapidement. Car, dans le contexte de fragilité de notre tissu économique, il est exclu qu’un tel dispositif vienne entraver le travail amorcé par les entreprises innovantes de nos territoires ni contrarier l’opportunité de création de nombreux emplois pour les générations futures, grâce à une valorisation raisonnée et efficiente de notre biodiversité, marine et terrestre. Il faudra rapidement rassurer en répondant aux questions suivantes : quelle autorité administrative sera appelée à délibérer sur l’accès à ces ressources ? Qui aura la maîtrise de la gestion de la biodiversité ? Quelle sera la structure dédiée à l’exploitation de notre patrimoine naturel ?
Enfin, et c’est peut-être l’enjeu, pour que l’ARB réussisse sa mission, il est indispensable que la décision soit prise le plus localement possible, pour une transition énergétique réussie car maîtrisée par des acteurs directement concernés par l’application de la loi-cadre dans nos territoires. Aussi, plus que jamais, la question de la domiciliation de la décision se pose pour les collectivités publiques. Elles doivent continuer à investir, à explorer le potentiel offert, à favoriser la croissance de nos petites et moyennes entreprises locales. Le plan de relance est un outil approprié pour aider à faire émerger une telle politique. Il est doté de moyens importants pour accompagner ceux qui œuvrent dans ces secteurs innovants, tout cela au profit de notre population, de l’emploi et de la production locale.
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Teddy Bernadotte
Chargé d’enseignement
CAGI- Université des Antilles
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(1) Un site Ramsar désigne une « zone humide d’importance internationale » inscrite sur la liste
établie par la Convention de Ramsar par un État partie. Un site Ramsar doit répondre à un
ensemble de critères, tels que la présence d’espèces vulnérables de poissons et d’oiseaux d’eau.
(2) Sur les 19 M€ alloués à l’ensemble des parcs nationaux de France, la Guadeloupe va pouvoir
disposer de 1,7 M€. Après les 400 000 € déjà mobilisés en 2020 par l’établissement, ces fonds
permettront de soutenir des projets de génie écologique, de mouillage en mer ou d’éducation à
l’environnement, mais aussi d’aide concrète aux porteurs de projets, en particulier dans la zone
d’adhésion du parc

2 réflexions sur « BIODIVERSITÉ, L’OR VERT DE LA GUADELOUPE »

  1. La Guadeloupe ne se résume pas au Parc national et la biodiversité n’est pas seulement synonyme de ressources à exploiter.

    Dire que « La majorité des Guadeloupéens semble désormais consciente de l’opportunité que constitue notre biodiversité » n’est qu’une vue de l’esprit. Il suffit de survoler la Guadeloupe en avion pour s’en rendre compte.

    Notre pays est devenu un véritable gruyère parsemé de béton et de bitume même dans les zones les plus reculées. Notre dernier refuge de Biodiversité non-public « Les Grands fonds » est devenu une terre de conquête pour les bétonneurs de tout poil avec à chaque virage (ou presque) une décharge sauvage.

    « Qui aura la maîtrise de la gestion de la biodiversité en Guadeloupe ?  »

    Les maires possèdent une bonne partie de ce pouvoir et pourtant pour des raisons de clientélisme politique ou d’ignorance préfèrent faire la course au m² constructible, la biodiversité c’est chic dans les discours.

  2. Belle contribution mettant clairement en lumière la richesse de notre biodiversité sans bien entendu occulter les savantes œuvres humaines contribuant à la préserver, mais aussi la valoriser grâce aux vertueuses potentialités qui la composent.

    Notre territoire doit son attractivité principale à cet indéniable atout que malheureusement trop peu d’entre nous ont conscience de l’intérêt de sa protection.

    Voilà donc selon moi une bonne façon de sensibiliser l’opinion publique mais surtout les décideurs sur l’impérieuse nécessité d’une prise de conscience de la valeur mais surtout de la fragilité de notre émeraude.

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