Marronnage et révoltes d’esclaves en Guadeloupe des faits puisés dans la presse de l’époque

Le marronnage, mythe ou réalité en Guadeloupe ? Le travail réalisé par Ary Brousillon répond à  la question. Dans les communes de Guadeloupe, sur les Habitations et dans les ateliers o๠pendant deux siècles l’esclavage sévit, des femmes et des hommes sont entrés en marronnage. Le terme a été l’Abolition de l’esclavage en 1848 et l’acquisition par les nouveaux-libres de leurs droits de citoyens.

 Le marronnage n’était qu’une des multiples formes de luttes et de résistance utilisées par les esclaves, contre le système inhumain et l’exploitation féroce qui était son essence même. Aucune répression aussi dure et aussi terrible f ût-elle, ne pouvait empêcher le marronnage dont les causes étaient multiples : les odieuses conditions de travail, les mauvais traitements faits, la disette et la mauvaise nourriture, le désir de liberté, etc.

La Gazette de la Guadeloupe informait régulièrement sur l’identité des esclaves qui avaient déserté les Habitations de leurs maîtres, en fournissant des précisions sur la taille et autres traits anthropométriques notamment de ceux qui avaient été arrêtés et tenus enfermés dans des geôles de commune, en attendant d’être réclamés et récupérés par leurs maîtres.

Souvent, ces fugitifs étaient de  » nouveaux arrivés « , récemment débarqués des bateaux négriers et vendus à  des propriétaires. Souvent aussi, ils s’agissaient, autant pour eux que pour les Créoles nés sur l’île, de récidivistes reconnaissables parfois aux marques du fouet sur leur peau, ou encore à  la fleur de lys incrustée au fer rouge dans leur chair.

Petit-Bourg fut terre d’esclavage, terre de marronnage et de révolte, d’empoisonnements, d’incendies, de combats républicains acharnés, de bris de chaînes, de soulèvements d’esclaves aussi.

Constituant un centre de rébellion, un lieu présentant des conditions particulièrement favorables au marronnage et plus généralement à  la résistance des esclaves, les camps d’esclaves fugitifs se multiplieront dans cette commune particulièrement  » prisée  » des marrons : au début du 19ème siècle, au moment o๠les faits de marronnage augmentaient en fréquence et en ampleur, Petit-Bourg comptait 71 Habitations dont 21 sucreries.

Le marronnage une réalité malgré l’étroitesse du territoire

La forte concentration d’esclaves regroupés dans des ateliers, était un élément incitateur : les bruits de chaînes, les claquements du fouet, les cris de douleur des esclaves martyrisés, pouvaient  » s’entendre  » d’une Habitation à  l’autre. Les incendies volontaires des champs de cannes pouvaient se voir. Les  » nouvelles  » circulaient facilement : les souffrances et les espérances des esclaves étaient déposées dans leurs chansons reprises d’Habitations à  Habitations et de commune en commune. Par ailleurs, les montagnes toutes proches appelaient à  la désertion, au marronnage. La proximité du Col des Mamelles o๠déjà  se cachaient depuis de nombreuses années des esclaves fugitifs (les Kellers), la soif de liberté, faisaient naître chez les esclaves encore  » enchaînés « , l’envie de les rejoindre dans les bois, dans l’aventure, dans la liberté.

Nombre d’esclaves venant d’autres communes tentaient aussi de trouver refuge sur les terres de Petit-Bourg réputées être un lieu de grand marronnage.

Aussi importe-t-il que ceux qui habitent et qui vivent à  Petit-Bourg sachent, que les Habitations de la Lézarde, Duquerry, Arnouville, Versailles, Fougères, Trinité, Saint-Jean, Bel-Air, Bellevue, la Saussaie, La Grippière, Juston, etc… ont été arrosées par la sueur et le sang de milliers d’esclaves, de 1650 à  1848. Il importe que chacun sache que réfugiés dans les hauteurs de Bergette, Juston, les Mamelles, des esclaves marrons ont créé leurs camps o๠ils ont organisé pendant longtemps leur nouvelle vie de libres, en marge de la société esclavagiste et contre elle.

A Petit-Bourg, comme dans toutes les communes, les maîtres, sur leurs Habitations, avaient fait construire des  » prisons  » o๠ils pouvaient enfermer pour jugement (ou plutôt selon leur propre jugement ; autant dire : sans jugement) les esclaves rebelles à  l’ordre esclavagiste. J. Fallope informe d’ailleurs que  » c’est dans la région de Capesterre et de Petit-Bourg que les prisons sont les plus nombreuses sur les plantations.(1)  »

Les supplices étaient également fréquents notamment pour les vols relativement nombreux, commis tant par les marrons qui  » visitaient  » le soir les Habitations, que par ceux y étaient encore  » attachés « .

Les quelques exemples qui suivent et qui concernent la commune de Petit-Bourg se retrouvent parfois presque à  l’identique dans d’autres communes de Guadeloupe : des exemples de marronnage certes, mais aussi de répression des nègres marrons: l’un étant l’adjuvant de l’autre.

Les « faits divers » tirés de l’histoire, des archives et de la Gazette de la Guadeloupe

En 1765, Anne-Marie Claudine dite Nicey, esclave sur l’Habitation Arnouville et appartenant au Sieur Duquerry, est condamnée à  mort pour troisième marronnage. Il s’agissait d’une règle édictée par le Code Noir de 1685 en son article 38 qui stipulait :

 » L’esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à  compter du jour que son maître l’aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d’une fleur de lys sur une épaule; s’il récidive un autre mois à  compter pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé, et il sera marqué d’une fleur de lys sur l’autre épaule; et, la troisième fois, il sera puni de mort.  »

Mais Nicey échappera de justesse à  la pendaison: le nègre Jean-Baptiste,  » second exécuteur des hautes Å“uvres « , chargé donc de son exécution, avait reçu du Conseil Supérieur l’autorisation de la prendre pour épouse. Il s’agissait là , d’un privilège dont bénéficiaient ceux qui exerçaient le métier de bourreau qui était loin d’être convoité.

Au mois de juillet 1773, le nègre Romain, esclave de M. de Machicourt, propriétaire (avec le sieur Duquerry) de l’Habitation Arnouville,  » accusé du crime de second marronnage » sera condamné Â«à  avoir le jarret coupé et à  être marqué d’une fleur de Lys sur l’épaule gauche.(2)  »

Le 6 juin 1786, l’inventaire de l’Habitation Arnouville dressé par le notaire Dupuch, signale l’absence sur l’Habitation de nombre d’esclaves qui sont déclarés marrons(3):

– André, mulâtre, âgé de 17 ans et son frère Alexandre dit Roquelore, nègre créole (né en Guadeloupe) âgé de 15 ans, fils de la négresse créole Catherine âgée de 38 ans. Ils sont dit-on marrons « depuis quelques temps » ;

– Prudent, nègre créole de 18 ans ;

– Hubert, nègre de Guinée de 36 ans ;

– Céleste, négresse créole de 22 ans

– Margothon, négresse créole de 29 ans, borgne et sourde ;

– Dorothé, négresse de Guinée âgée d’environ 53 ans, ainsi que sa fille Jeanneton négresse créole de 12 ans.

Certains sont marrons depuis plus de 15 ans. C’est le cas des nègres Gabriel âgé de 85 ans, marron depuis 25 ans ; de Julien, 54 ans, marron depuis 23 ans ; de Cupidon, 68 ans en marronnage depuis 21 ans ; de Simon âgé de 51 ans, absent de l’Habitation depuis 17 ans : de San-Soin, âgé de 57 ans et marron depuis 16 ans.

Le 5 juin 1788, la Gazette Officielle de la Guadeloupe informe qu’est détenu à  la geôle de Petit-Bourg  » un nègre de nation Moco, âgé d’environ 30 ans, taille de cinq pieds, le corps fluet, ayant pour toute marque de son pays quelques coupures aux deux tempes, habillé d’une chemise et culotte longue de grosse toille, ne pouvant bien expliquer le nom de son maître ni le sien.  »

Le 26 juin 1788, la Gazette Officielle de la Guadeloupe informe encore que dans cette même geôle  » est détenu… un nègre, de nation Bibi, âgé d’environ 25 ans, taille de 4 pieds 10 pouces, marqué aux tempes des marques de son pays, le corps fluet, disant se nommer Mathieu, appartenant au sieur Nicolas Vrimont, habitant au quartier de Deshayes.  »

L’esclave Bibi avait été capturé à  Petit-Bourg o๠il comptait trouver refuge.

Le 31 juillet 1788, la Gazette de la Guadeloupe publie un avis de recherche concernant les esclaves marrons du Marquis de Bouillé, propriétaire de l’Habitation La Saussaie. Les noms et descriptions étaient ainsi indiqués:

 » Le Capre Laurent dit Gustave, » âgé d’environ 23 ans, taille de 5 pieds 1 ou 2 pouces, trapu, grand danseur.

Le Capre Barthélémi, âgé de 21 ans, taille de 5 pieds 2 à  3 pouces, un peu clair de peau, portant la queue, cheveux crépus, belle figure, grands yeux, épaules larges.

Le Capre Jean-Claude, âgé de 17 ans, taille de 5 pieds 3 pouces, fluet, le nez aquilin, portant la queue, étant en veste bien vêtu, se disant libre, voulant apprendre un métier.

Le Nègre Jean-Charles, âgé de 46 ans, taille de 5 pieds 1 pouce, vilaine figure, mal bati, ayant l’air benet.

La négresse Laurence, Créole, âgée de 23ans, taille d’environ 5 pieds, d’une assez belle figure, ayant un nabat au dessus du pied, si elle ne l’a pas fait oter.

On prie ceux qui auront connoissance, de les faire conduire à  la première geole, ou s’adresser à  M. Duféal, gérant les biens de M. le Marquis de Bouillé, à  Petit-Bourg. »

Le 7 ao ût 1788 la Gazette Officielle de la Guadeloupe fait le signalement suivant d’un homme détenu à  la geôle de Petit-Bourg :

« .. . nègre nommé Vallère, âgé d’environ 22 ans, de nation Ibo, taille moyenne, nez assez bien fait, visage rond, figure riante, une dent manque sur le devant de la mâchoire supérieure, n’ayant d’autre marque que celles de coups de fouet sur le dos et sur le bras droit, disant appartenir au sieur Jean Condere, habitant au quartier de Ste Rose  » ;

avec lui emprisonné en attendant que son maître le réclame  » le nègre Gaspard, âgé d’environ 40 ans, de nation Capelaou, taille de 5 pieds 4 pouces, barbe noire, l’estomac fournie, belle figure, une petite cicatrice sur la jour droite, provenante d’une chute ayant deux dents de manque sur le devant de la mâchoire inférieure, beaucoup de coups de fouet sur le dos, disant appartenir à  madame veuve Lelong, habitante cottonière, au quartier du Moulle. »

Le 9 octobre 1788, la Gazette de la Guadeloupe fait aussi savoir qu’il est détenu à  la geôle de Basse-Terre  » un jeune nègre de nation Créole, nommé Pierre, de la taille d’environ 4 pieds 10 pouces, la figure plate, le front étroit, les yeux petits et cavés, le nez large et épaté, la bouche moyenne, se disant appartenir à  M. Neau, sucrier à  la rivière Lézard.  »

En décembre 1789, le mulâtre Philippe quant à  lui, âgé d’environ 26 ans, esclave de Jean Valentin Quin, Capitaine de la Compagnie d’Artillerie de Petit-Bourg n’avait pas été repris. Il avait bénéficié de la confiance de son maître qui l’avait alors chargé d’une course à  effectuer à  la ville de Basse-Terre. Il était donc muni d’un billet (sorte d’autorisation) de M. Quin en date du 12 décembre 1789 et d’une validité de 6 jours. Il n’était toujours pas rentré aux fêtes de Noel; mais de plus apprenait-on,  » ce mulâtre a enlevé de l’argent qu’il avoit reçu à  la Basse-Terre. On offre une récompense de 100 francs à  celui qui l’arrêtera et le conduira à  la première geôle ou chez son maître.[4]  »

Le 11 Avril 1790, un complot de soulèvement d’esclaves des ateliers de Capesterre, Goyave et Petit-Bourg est démasqué. Trente trois comploteurs sont inculpés. Les principaux chefs au nombre de 5 sont pendus en application d’un jugement rendu le lundi 17 mai 1790.

Un projet de route de Petit-Bourg à  Matouba pour traquer les marrons … jamais achevé

En 1794, Victor Hugues fera commencer les travaux devant relier Petit-Bourg à  Matouba, afin de traquer les nègres marrons qui s’étaient réfugiés dans les montagnes. Il s’agissait en fait d’un projet datant de 1765, à  l’initiative du Gouverneur Nolivos, mais qui n’avait pu être exécuté. Quand ils débuteront en 1794, les travaux commenceront simultanément aux deux extrémités comme l’explique L. Le Boucher :

« Du Petit-Bourg, une route empierrée fut ouverte à  travers la forêt sur cinq kilomètres environ, de la rivière la Lézarde à  une des branches de la Rose. Il s’agissait de contourner le massif de Matéliane par son versant Est et de parvenir à  la Rivière Rouge par la Savane à  Mulets et le Col de la Grande Découverte. On ne s’était pas rendu compte que la Matéliane, pris de ce côté, présentait de hautes falaises à  pic ; on se heurtera à  cette barrière infranchissable.

Du côté du Matouba, le même travail fut entrepris. Commencé au pont de la Rivière Rouge, il fut poussé jusqu’à  la Savane à  Mulets, sur une longueur de près de cinq kilomètres ; mais le tracé ainsi formé vint se heurter aux escarpements de la rive droite de la Class, à  un endroit appelé «le Sanglot» o๠un précipice de plus de 200 mètres arrêta net les travailleurs. On s’en tint à  ces deux tronçons de route qui restèrent toujours inachevés. » (5)

Les travaux semblent s’être poursuivis lors de l’occupation anglaise de 1810 à  1815. En 1828, M. De Rotours décida alors de retrouver le tracé de Victor Hugues qui n’existait plus. Il écrivit le 12 décembre 1828 au Commissaire Commandant de Petit-Bourg, afin de l’informer des dispositions qu’il allait prendre, et précisa dans le même temps :

« J’espère par là  faciliter l’expulsion des marrons, ou même de détruire le marronnage dans ces quartiers, indépendamment des autres avantages que je me promets de cette grande entreprise, que je compte faire exécuter par les troupes d’ici à  quatre mois. 150 hommes environ partiraient du Petit-Bourg, et le même nombre du Matouba…

Que pensez-vous de ce projet, Monsieur le Commandant, particulièrement pour la défense de la Colonie en temps de guerre, ou en cas d’insurrection. »(6).

Examiné par une « Commission ad hoc », le projet fut jugé irréalisable : trop de ponts à  construire ! concluait-on ; une douzaine (7) !

Le 11 mars 1811, Marcellin, esclave de la Dame Revolier à  Petit-Bourg est condamné à  être  » attaché à  la chaîne pour y servir à  forçat à  perpétuité après avoir été préalablement conduit sur la place du marché de cette ville[8] et y avoir été flétri par l’exécuteur des Hautes Å“uvres, sur l’épaule droite des 3 lettres G.A.L  » , (9) qui stigmatisent les esclaves prisonniers condamnés aux galères. Il avait été accusé d’avoir défoncé sur l’Habitation Roujol (appartenant à  la veuve Roujol), la case d’un de ses « ouvriers », et commis un vol d’argent et de marchandises.

En septembre 1817, sur l’Habitation La Lézarde, l’esclave Charlery, « métis fort blanc, un peu charpentier et pharmacien » s’enfuit en pirogue en compagnie de quatre esclaves (10)

De nombreuses fuites d’esclaves en pirogue et la répression qui va avec …

En novembre 1817, Zénon Capre, esclave de la même Habitation o๠il était tonnelier s’enfuit à  bord d’une pirogue volée en compagnie de deux esclaves de houe (11).

La récurrence des fuites d’esclaves au moyen de pirogues fera alors l’objet de discussions au Conseil Privé de la Guadeloupe, qui, réuni le 24 Juillet 1826 sous la présidence du Contre-Amiral Baron DES ROTOURS (12), envisagera les moyens de répression à  mettre en Å“uvre et approuvera la proposition suivante du Procureur Général du Roi en fonction, André de Lacharrière :

 » Article 1er : Il est défendu de laisser aucune pirogue ou embarcation quelconque, pendant la nuit, sur le rivage, excepté dans les endroits qui seront désignés par un règlement particulier, à  peine de cent francs d’amende pour la première fois, et de deux cents francs en cas de récidive.

Article 2ème : Toute pirogue ou canot sera enchaîné le soir, à  peine de 50 fr d’amende pour la première fois, et de cent francs en cas de récidive ; sans préjudice, dans les deux cas ci-dessus, des dommages-intérêts envers les maîtres des esclaves qui se seront évadés.

Article 3ème : Tout propriétaire qui aura obtenu l’autorisation d’avoir un embarcadère pour son usage, sera responsable vis-à -vis des maîtres dont les esclaves se seront servis, pour s’enfuir, des embarcations qui se trouvaient au dit embarcadère.

Ils pourront être tenus de payer la valeur des esclaves lors même que les Embarcations étant attachées n’auront pu être enlevées qu’après que les chaînes, ou cadenas auront été brisés. (13)

Le 8 février 1822, la négresse Gertrude esclave sur l’habitation Clermont (Fougères), accusée du crime d’empoisonnement à  l’encontre de propriétaires blancs et de leur famille, mais aussi d’esclaves, est pendue puis br ûlée sur la place de l’église de Petit-Bourg.

En 1826 : arrestation à  Petit-Bourg de Mocachi, chef d’un camp de marrons, en fuite depuis de nombreuses années.

En sa séance du 23 décembre 1818, le Conseil Privé de la Guadeloupe le décrivait comme un « très mauvais sujet, marron depuis dix sept ans, connu parmi les noirs sous la dénomination de Roi des bois. (14). Le Conseil Privé offrait alors une prime de 150 F à  celui qui aiderait à  sa capture.

Après son arrestation à  Petit-Bourg huit ans plus tard, en 1826, on écrivit alors en contant son long marronnage :

« Chef de camp le plus fameux des marrons modernes … il avait de la force d’âme et toutes les qualités d’un homme supérieur, fait pour commander d’autres » (15)

Mocachi serait donc resté marron pendant au moins 25 ans !

Le 29 octobre 1827, l’esclave Abraham accusé d’avoir, dans la nuit du 1er au 2 mai précédent, mis le feu aux plantations de l’Habitation Roujol, est condamné à  mort. L’incendie avait dit-on ravagé la dite Habitation. Deux esclaves avaient alors été arrêtés et emprisonnés à  la geôle de Basse-Terre : le nègre Abraham, esclave de la dame Veuve Boyer de Canrieu, et Isménie, négresse esclave de la dame Veuve Roujol. Un jugement rendu par le Tribunal criminel de Pointe-à – Pitre, le 18 Septembre 1827, condamnera à  mort Abraham et innocentera Isménie.

Le procès en Appel du 29 octobre 1827 confirmera le jugement et déclarera « l’accusé Abraham, atteint et convaincu d’avoir volontairement, méchamment et avec intention de nuire, mis le feu, dans la nuit du premier au deux mai dernier, à  une pièce de cannes de l’Habitation Roujol, laquelle pièce de cannes a été entièrement consumée.

Pour réparation de quoi le condamne à  être pendu et étranglé jusqu’à  ce que mort s’en suive, par l’exécuteur des hautes Å“uvres, à  une potence qui sera dressée à  cet effet sur la place du marché du Petit- Bourg. (16)

En septembre 1829, un complot est démasqué à  Sainte-Anne, qui visait dit-on, à  provoquer un soulèvement identique à  celui qui avait conduit à  l’indépendance d’Haïti. Il est alors question d’une ramification à  Petit-Bourg : des lettres anonymes en font état et conduisent à  l’arrestation de 19 libres de couleur de cette commune (17) stigmatisée par la récente affaire d’empoisonnement de 1821 (affaire Gertrude), et qui a la réputation d’être affectionnée par les nègres marrons qui s’y seraient réfugiés en grand nombre.

En janvier 1832, par arrêté prononçant une amnistie en faveur des nègres marrons, le gouverneur essaie d’ « amadouer » les esclaves fugitifs, proclamant alors que  » grâce pleine et entière sera accordée par les maîtres et propriétaires à  ceux de leurs nègres marrons qui se présenteront  » (18) dans un délai de deux mois.

Cette proposition ne semble pas avoir eu d’écho favorable : le nombre de marrons n’a cessé de croître durant cette période, et corrélativement le nombre de vols liés au marronnage.

Le 30/12/1833, la Chambre d’accusation de la Cour Royale de Guadeloupe, porte accusation et renvoie devant la Cour d’Assises de Pointe-à -Pitre, Genty, commandeur esclave du Sieur Dubos propriétaire de l’Habitation Bellevue. Genty est accusé du crime d’empoisonnement. L’accusation porte également sur Joseph esclave du Sieur Verdier, Jean-Bernard esclave du Sieur Roujol et Pétronille dite Toto esclave du Sieur Fillassier de Saint-Germain.

Le 26 Avril 1834, la Cour d’Assises de la Grande-Terre condamne à  mort Genty, jugé  » coupable d’avoir à  différentes époques, attenté à  la vie de plusieurs esclaves de l’Habitation de son maître, par l’effet de substances vénéneuses. » (19)

La Cour d’Assises prononce dans le même temps l’acquittement de Joseph, Jean-Bernard et Pétronille. La sentence à  l’encontre de Genty est alors exécutée au mois de mai, et, comme décidé par le tribunal, sur la place publique de Petit-Bourg.

Le 30 novembre 1840, l’esclave Petit-Frère appartenant au sieur Juston de Belleville (propriétaire de l’Habitation Juston), est tué par le nommé Jean,  » un nègre d’Afrique appartenant à  M. de Bouillé et âgé de 25 ans, enrôlé parmi ces Chasseurs de bois attachés à  la place du Petit-Bourg et qui sont chargés de découvrir les traces, les campements des nègres marrons dont ces bois sont infestés. (20)

Un planteur fait justice lu-même …

En Novembre 1840, Jean-Marie Maximilien Vernou de Bonneuil, planteur propriétaire de l’Habitation L’Espérance (Vernou) est traduit devant le Tribunal. Les actes qu’il commet à  l’encontre des esclaves marrons sont si odieux qu’ils ne peuvent être totalement passés sous silence. Monsieur Vernou De Bonneuil est ainsi appelé à  répondre de diverses accusations :

– Celle de complicité avec le nègre Delpont, son esclave, accusé d’un homicide commis le 25 Janvier sur le nommé Polydore, esclave appartenant à  l’Habitation Lézarde. J.M de Bonneuil aurait poussé Delpont à  cette action et lui aurait même procuré l’arme ayant servi à  perpétrer ce crime.

– Celle d’avoir au courant de ce même mois de Janvier, détenu et séquestré pendant environ 3 semaines dans un cachot de son Habitation le nègre Crispin et de l’avoir soumis à  des tortures corporelles.

– Celle d’avoir porté volontairement des coups et fait des blessures à  l’esclave Florus.

Le Tribunal, bien évidemment acquitte le sieur De Bonneuil, vieillard de 64 ans, père de 9 enfants, faisant à  Petit-Bourg figure de patriarche craint et respecté, au point d’être  » autorisé  » à   » faire justice  » lui-même, y compris à  l’encontre de nègres esclaves qui ne relevaient pas de son Habitation.

Les  » chasseurs de bois », d’anciens marrons chassent les marrons

En 1842, le Conseil Privé décide la création d’une nouvelle escouade de  » Chasseurs de bois  » pour lutter contre le marronnage dans les communes de Capesterre et de Petit-Bourg. Selon la délibération du Conseil Privé, ces Chasseurs de bois seront cette fois (en comparaison à  ceux des années 1820) des esclaves ayant connu le marronnage et donc connaissant parfaitement la forêt. Ils seront même rémunérés pour ce service : 1 franc par jour pour qu’ils puissent se nourrir par le versement mensuel de 25 francs. C’est que le marronnage s’étend, désorganisant le travail sur les Habitations. V. SchÅ“lcher signalera d’ailleurs en 1842 la présence significative de camps de marrons dans les Hauteurs de la Lézarde.

Le 12 juin 1843 la Cour d’Assises de Pointe-à -Pitre reconnait Lubin 25 ans, matelot, ainsi que Eugène 24 ans, cuisinier, Joseph 30 ans, matelot également et enfin Josy 28 ans, tonnelier, tous esclaves de Pierre Cadou, propriétaire de l’Habitation Versailles,  » coupables d’avoir comme auteurs et complices et dans le but de passer à  l’étranger, enlevé dans la nuit du quatre au cinq mars dernier, une pirogue appartenant au sieur Cadou, laquelle pirogue ainsi que ses voiles et avirons étaient déposés dans le magasin de cet Habitant . » (21) Chacun de ces esclaves avaient été condamnés à  être punis de 29 coups de fouet sur la Place publique de Petit-Bourg.

En 1844, la Gazette Officielle de la Guadeloupe publie un arrêté du Gouverneur Augustin Gourbeyre en date du 11 Mars, informant qu’une prime de 30 francs serait offerte pour l’arrestation de 84 marrons dont 52 pour la seule commune de Petit-Bourg :

– 15 de l’Habitation Juston appartenant à  Madame Veuve Juston de Belleville ;

– 13 de l’Habitation Carrère, propriété de Messieurs Philippe Auguste Duc et Joseph Canet ;

– 8 de Roujol, Habitation appartenant aux frères Roujol ;

– 16 de Belleville[22], Habitation dont les propriétaires sont Messieurs Bourez et Dubos.

Le 3 janvier 1845 un autre arrêté du Gouverneur concerne cette fois 25 esclaves marrons, tous rattachés à  l’Habitation Versailles appartenant à  Pierre Cadou.

En 1847, plusieurs Habitations à  Petit-Bourg seront la proie des flammes.

La déstabilisation de la société esclavagiste s’accentuera : le marronnage se banalisera même. Rien ne semblait pouvoir l’arrêter. Les Habitations étaient désertées. Le Gouverneur dans une Lettre au Ministre de la Marine dit son désarroi et son impuissance, se plaignant de la susceptibilité des esclaves, de leur attitude capricieuse, et déplorant qu’  » à  la moindre contrariété ils quittent le travail et s’en vont marrons « . (21)

Voilà  donc en ce qui concerne la commune de Petit-Bourg, quelques faits relevés de résistance des esclaves et de répression et qui sont loin d’être exhaustifs. Il s’agit de faits d’histoire comme il en existe, faut-il le rappeler, dans toute la Guadeloupe. Ainsi pourrait-on ainsi pour chaque commune de Guadeloupe, recenser et transcrire les faits de répression et de résistance aussi divers et variés soient-ils. Cela témoignerait ainsi d’une part de leur permanence et d’autre part de leur étendue. Cela participerait aussi de  » la mémoire communale. » Chaque municipalité pourrait se pencher sur cette question et envisager la juste réponse à  lui porter[24].

Notes et références

(1) J. Fallope, Esclaves et citoyens – Les noirs à  la Guadeloupe au XIXè siècle, Basse-Terre, Société d’Histoire de la Guadeloupe, p.221

(2) A.N. Col. F3.32O, Séances du Conseil Supérieur de la Guadeloupe, Affaires criminelles de Juillet 1773 – F°92

(3) Certains esclaves étaient plutôt déclarés «marronneurs : tels Adrien dit Dia-la, 41 ans ainsi que Paille, 52 ans, tous deux cabrouetiers qui étaient donc semble-t-il des habitués du petit marronnage de quelques jours.

(4) A.D.G, 4 Mi 23, Journal Affiches, Annonces et Avis divers de l’Ile de la Guadeloupe, 24/12/1789

(4) L. Le Boucher : La Guadeloupe pittoresque. Société d’Editions Géographiques,

Maritimes et Coloniales – Paris. 1931 p.217

(5) A. Lacour : Histoire de la Guadeloupe (1635-1860), 4 vol. Société d’Histoire de la Guadeloupe – T4 p.422

(7) Le projet de relier Petit-Bourg au Matouba en retrouvant les traces du chemin Victor Hugues, sera repris en 1859 par le Commissaire Général Bontemps, Gouverneur par intérim de la Guadeloupe. Après moults difficultés, les capitaines de génie MM. Maréchal et Soulé qui avaient la charge de la conduite de ce projet, parviendront un an plus tard à  permettre la liaison, par la Savane aux Ananas et les Sans-Toucher, entre Petit-Bourg et le Matouba

(8) A Pointe-à -Pitre o๠s’est déroulé le procès

(9) Affaires criminelles du 29 Fructidor au 24 octobre 1823, ADG, 1UE

(10) Gazette Officielle de la Guadeloupe du 30/09/1817

(11) Gazette Officielle de la Guadeloupe du 05/01/1918

(12) Le Contre-amiral Baron des Rotours a été nommé Gouverneur de la Guadeloupe par Ordonnance du Roi Charles X du 26 Février 1826, en remplacement du Contre-amiral Jacob, démissionnaire ; Il sera rappelé en France par Ordonnance Royale du 31 Janvier 1831 pour être remplacé par le Commandant militaire de la Guadeloupe, Général Vatable.

(13) ADG 1Mi 367 (R1) : Délibérations du Conseil Privé ; Séance du 24 Juillet 1826 .

(14) AN SOM : c.631 d.2737 Marronnage des diverses colonies et mesures prises

(15) idem

(16) ADG. Registre des Arrêts criminels de la cour d’Appel – 24/11/1823 au 13/05/1828

(17) J. Fallope : op.cit. p.232

(18) B.O : Arrêté du Gouverneur en Conseil concernant une amnistie en faveur des nègres marrons – 15/01/1832

En 1828, une amnistie avait déjà  été décidée mais uniquement pour les esclaves qui avaient fui dans des Colonies étrangères.

(19) ANSOM GR 1391, Cour d’Assises de Pointe-à -Pitre – 16/04/1834.

(20) Journal Commercial de la Pointe-à -Pitre, n°37 du 8/5/1841

(21) ANSOM – GR-1392, Arrêt de la Cour d’Assises de Pointe-à -Pitre – 1841-1845

(22) Il s’agirait plutôt de Bellevue

(23) ANSOM : C258 D1554, Lettre du gouverneur au Ministre – 20/05/1847

(24) Des dispositions pratiques doivent être prises par les municipalités pour organiser la recherche sur l’histoire communale et en faciliter la diffusion.

Auteur/autrice : perspektives

Didier Levreau, créateur en 2010 du site Perspektives, 10 ans d'existence à ce jour