Aux USA, le  » péché originel » de la ségrégation pèse sur la société américaine

Le 18 mars 2007, Barack Obama qui n’était alors que sénateur de l’Ilinois en campagne, a prononcé un important discours à  Philadelphie. Il y parlait des relations raciales aux Etats-Unis. Y revenir après l’affaire de Ferguson n’est pas inutile.

 Dans le discours de Philadelphie Obama dessinait sa vision d’une « union plus parfaite » du peuple américain et la foi qu’il lui porte. Candidat, il ménageait tous les camps et appelait à  dépasser « quelques unes des vieilles blessures raciales » qui minent le pays.

Il parlait de réconciliation après l’utile rappel du péché originel – l’esclavage – qui frappe la naissance des Etats-unis.  » Il y a 221 ans, disait-il, des hommes se sont rassemblés et par ces simples mots, ont inauguré l’improbable expérience démocratique américaine. Fermiers, savants, hommes d’Etat, patriotes ayant traversé un océan afin d’échapper à  la tyrannie et aux persécutions, venaient enfin de concrétiser leur déclaration d’indépendance au cours de la convention réunie à  Philadelphie au printemps 1787. Le document qu’ils rédigèrent fut en définitive signé … mais il portait la tache du péché originel de ce pays : l’esclavage, une question qui divisait les colonies et paralysa la Convention jusqu’à  ce que les pères fondateurs décident d’autoriser le commerce des esclaves à  se poursuivre durant au moins vingt années … »

La frontière de la couleur résiste à  deux siècles d’histoire

Vingt années … et beaucoup plus. Il faudra attendre presque un siècle, 1865 pour que le 13em amendement de la constitution américaine mettant fin à  l’esclavage, soit voté avec une courte majorité. Ce vote ne réglera pas pour autant l’intégration des Afro-Américains à  la communauté nationale comme citoyens à  part entière. Après l’abolition apparaissent dans les Etats du sud à  la fois le Ku Lux Klan et un système légal de ségrégation raciale, une forme d’apartheid, qui marginalisait et humiliait la communauté noire. Il faudra attendre un siècle de plus – 1964 – de terribles souffrances et des combats, pour que les Droits civiques interdisent, aux Etats-Unis, toutes formes de discrimination raciale dans les lieux publics.

En 2014, des chiffres et l’affaire de Ferguson viennent rappeler au monde que la première puissance mondiale, présentée comme une démocratie exemplaire n’a pas réglé les tensions raciales, ni la frontière de la couleur, constitutives de son histoire.

Une société qui vit dans la paranoia

Des chiffres : le recensement 2012 aux USA indique que le revenu moyen des foyers afro-américain est retombé à  58,4% du revenu des foyers des familles blanches. La crise de 2008, le scandale des subprimes a touché plus tôt – dès 2006 – et massivement les ménages noirs. L’offre de crédits toxiques a creusé l’écart entre les Noirs et les Blancs, après 2008 le pourcentage de propriétaires noirs a baissé plus vite que le pourcentage de propriétaires blancs entrainant un déclassement plus rapide des classes moyennes noires qui avaient commencé à  constituer un patrimoine et l’ony perdu.

Les Afro-Américains représentent 13,6% de la population du pays, mais 40,2% des personnes incarcérées. Les stratégies de lutte contre la délinquance et la criminalité aux Etats-Unis basées sur des anticipations statistiques et des techniques de management spécifiques à  la police contribuent à  ces résultats. Les quartiers considérés comme chauds sont cartographiés et tout ce qui bouge dans ces « hot spot » est contrôlé, fouillé, voire arrêté si la moindre infraction est commise. Les statistiques et les logiciels de cartographie de la police ciblent plutôt les quartiers o๠vivent les minorités. Cette stratégie qui consiste a écarter de l’espace public les « personnes à  risques » est critiquée car elle stigmatise les minorités, mais elle semble efficace dans les grandes villes o๠la criminalité, selon les statistiques US, a baissé de plus de 50%.

Le maire de New-York, Bill de Blasio s’était élevé contre cette stratégie durant sa campagne. Mais une fois élu, il ne l’a pas remise en cause . Il a seulement demandé au chef de la police de New-York d’assurer l’efficacité de ses services tout en atténuant les effets les plus injustes sur la vie quotidienne des jeunes Noirs. C’est pour le moins ambigu.

Résultat, le pays vit une paranoïa permanente : sur le site Gawker, un réseau de blogs américains, Jazmine Hugues, journaliste afro-américaine, expliquait après l’affaire de Ferguson « que rien ne l’empêchera d’avoir des enfants, mais que rien ne l’empêchera de les élever dans la crainte … Il y a tellement de choses que je dois dire à  mon futur fils, avant même de lui avoir donné naissance: ne pas porter de sweat à  capuche, ne pas intervenir dans une bagarre, ne pas répondre à  la police, ne pas demander d’aide: ces conseils veulent dire une seule chose: ne leur donne pas d’excuse pour te tuer. »

Conseil d’une mère: « garde tes mains en vue et ne parlemente pas »

Alors pourquoi Ferguson, alors que les Etats-Unis semblaient avoir franchi la barrière de la couleur en élisant un président noir à  la Maison Blanche ? La réalité brutale de quelques chiffres fournissent encore une explication : 22 000 habitants, une ville peuplée de classes moyennes il y a vingt ans, devenue en 2014 une ville pauvre dont deux tiers des habitants sont noirs. Le maire de la ville est blanc et un seul Afro-américain siège au conseil municipal. Les forces de police locale compte seulement 6% de Noirs. A Ferguson, l’Amérique profonde s’est rappelée au bon souvenir du premier président noir des Etats-Unis. Tout n’est pas gagné!

Obama savait que la tâche serait difficile. Dans son discours de Philadelphie, il disait aussi :  » je n’ai pas la naïveté de croire que nous pourrons dépasser nos divisions raciales en un seul cycle électoral … » Ni même en deux, ni même trois sans doute, puisque les inégalités entre communautés sont à  nouveau en train de se creuser du fait d’un système économique qui depuis les années 1980, favorise et protège sans ambiguité les plus riches et la classe dominante…

Voici un dernier témoignage recueilli par le site Gawker, celui d’Angela Jackson-Brown, 45 ans, habitant Indiannapolis :  » J’ai élevé un beau-fils blanc, qui a 26 ans et mon propre fils noir, qui a 24 ans. Mes conversations avec eux concernant la police varient selon les circonstances. Quand ils sont ensemble, j’ai appris à  mon beau-fils blanc qu’il sera traité comme son demi-frère noir. Ses privilèges de Blanc sont annulés dès lors qu’il est avec ses « frères Noirs ».

J’ai aussi appris à  mon beau-fils que quand il est seul ou avec des amis blancs, il sera traité avec un certain respect que son demi-frère ne connaitra jamais, et il a vu cela se vérifier maintes et maintes fois. Ironie du sort, il est celui des deux qui aime porter son pantalon très large et bas sur les fesses, mais il n’a jamais été harcelé par la police, même dans des situations o๠il aurait probablement d û l’être.

Mon fils noir, je lui ai toujours appris à  considérer la police de la même façon qu’il le ferait avec un membre du Ku Klux Klan, parce que dans la région du Sud o๠il a grandi, ce sont souvent les mêmes. Je lui ai appris à  interagir avec eux le moins souvent possible. Si tu es arrêté pour une infraction au code de la route, souviens-toi de tes leçons de bonnes manières. Garde toujours tes mains là  o๠elles peuvent être vues, et surtout, ne parlemente pas.

C’est aussi ce que mon propre père m’a appris et, malheureusement, si j’ai des petits-enfants, il semble qu’ils devront eux aussi entendre les mêmes conseils. »

Auteur/autrice : perspektives

Didier Levreau, créateur en 2010 du site Perspektives, 10 ans d'existence à ce jour