Le « Projet Guadeloupéen » révèle la confiance perdue dans les institutions

Le  » projet guadeloupéen » ? En 2009, après le mouvement social qui a secoué la Guadeloupe, les élus de la région et du département, en congrès, ont voté une résolution pour l’élaboration de ce fameux projet. L’idée : consulter la population, organiser des débats, pour dégager une vision de la Guadeloupe et contribuer à  la mise en oeuvre des politiques publiques que réclament le pays. Trois ans après Le groupe de pilotage du projet vient de rendre un rapport qui rend compte d’un an de travail. Huit pages en demi teinte. Les membres de ce comité semblaient y croire, ils ont pris du temps pour tenter  » au-delà  des idéologies et des croyances, de débattre de l’avenir de la société guadeloupéenne. » Le rapport, à  lire de près, fait un constat assez pessimiste à  la fois sur l’organisation des débats et sur l’avenir du projet.

75 débats annulés ou non programmés
L’idée était belle est bonne, mais la mise en oeuvre et l’intendance n’ont pas suivi. Sur 160 débats mis au programme dans toutes les communes de la Guadeloupe, 75 ont été annulés ou déprogrammés. Maladie chronique de la Guadeloupe : une idée est lancée, un plan com est en place, peut-être même une plaquette et un site internet, et c’est comme si l’idée était réalisée; alors que le vrai travail commence à  l’instant même o๠l’idée est lancée: qui, quoi, oà¹, comment, quel objectif ? Quel bilan ?

Ainsi le rapport indique : » Comme prévu par les présidents du congrès, la logistique a été prise en charge par la région ou le département ( communication, reproduction, site internet, diffusion de documents) et les mairies (mise à  disposition de salles). Il était logique, à  priori, que les collectivités territoriales et locales qui sont au service de la population, prennent en charge l’intendance de ce projet. Mais plus loin dans le rapport on peut lire:  » Nous avons eu quelques cas de salles vides et quelques cas, plus rares, de salles fermées. Les salles, souvent ouvertes et accueillantes, ne manifestaient absolument pas aux habitants qu’il s’y passait quelque chose : pas d’affiche, pas de banderole, ni de musique ce qui est le minimum dans des manifestations de ce type en Guadeloupe. Ceux qui se sont déplacés n’en ont eu que plus de mérite, d’autant que dans certaines sphères, le qualificatif de  » mascarade » était volontiers utilisé pour parler des débats communaux. »

Pour illustrer ce propos, un mot sur le débat  » citoyenneté » qui s’est déroulé au mois d’ao ût à  la médiathéque du Moule. Vue de l’extérieur le lieu, vers 20h, pouvait en effet paraïtre fermé, il n’était pas. Dans une salle du rez de chaussée, une vingtaine de personnes discutaient de ce qu’est, n’est pas ou devrait être la citoyenneté en 2012. Peu de participants mais des échanges intéressants.

Deux propos échangés me reviennent en pensant à  cette soirée: o๠sont les signes du déficit de citoyenneté? Chez le jeune en scooter qui jette une cannette de bière dans le caniveau ou bien chez des responsables politiques adultes incapables d’organiser le traitement des déchets et laissant exister durant des années, sur un territoire aussi fragile que la Guadeloupe, un site comme la décharge de la Gabare et d’autres décharges sauvages qui ont pollué les paysages, la terre, les nappes phréatiques. Quel est le plus mauvais exemple ?

Effectivement, a dit l’un des intervenants la citoyenneté au premier chef, c’est celle des décideurs et des responsables qui doivent donner l’exemple en assurant le fonctionnement de la collectivité sans s’arrêter aux intérêts particuliers : fournir de l’eau au robinet de chaque habitant, des logements décents, des transports en commun qui fonctionnent, des écoles qui enraillent l’illettrisme etc. L’origine du déficit de confiance de la population envers les politiques, constatée par ailleurs dans le rapport, ne trouve-t-elle là  pas tout simplement sa source ? Comment les missions pour lesquelles les élus sont payés, sont-elles assurées ?

Qui a failli, quand, ainsi que l’indique le rapport du comité de pilotage  » le fonctionnement du site internet dédié au projet guadeloupéen s’est dégradé au fil du temps et n’était plus, en fin de période un outil de communication fiable pour les citoyens qui s’intéressaient au projet  »

Qui a manqué d’initiative citoyenne pour que le rapport fasse état de la  » diminution, voire l’absence de communication, début juillet et de toute façon de l’inadaptation du plan communication sur le projet guadeloupéen, pendant les vacances. »

Etait-ce de la nonchalence ou la volonté de ne pas trop en faire sur ce « projet guadeloupéen », nouvelle vraie/fausse concertation ?

Paroles libres … mais Guadeloupe méfiante

A l’actif de la concertation  » populaire », les paroles échangées ont été libres. De petits comités, mais pas de langue de bois. Le groupe de pilotage avait souhaité cette indépendance vis à  vis des politiques et semble l’avoir obtenu. Une inquiétude toutefois apparait dans les dernières pages du rapport :  » Cette parole libre, la Guadeloupe et le monde politique en particulier, sont-ils prêts à  l’entendre. Cette question, nous la posons encore, car c’est une question importante. Même si le nombre de participants n’ a pas été à  la hauteur de nos espérances, il est incontestable que le matériau récupéré, est quelque chose de précieux (…) Il est important de restituer le produit des débats. Nous avons perçu une attente mais aussi des interrogations, car la Guadeloupe est méfiante, méfiance affichée car il y a déjà  eu des débats organisés et dont on n’entend plus parler. Les gens peuvent tous citer une opération de ce type, qui selon eux, n’a rien donné. »

D’ Etats généraux en projet guadeloupéen, le temps des constats et des palabres entre  » happy few » lasse la population et la société civile tentées par le repli sur soi et l’individualisme. La cohérence entre la parole et les actes peut rétablir un peu de confiance entre la population et les élus, mais franchement ce n’est pas gagné.

Auteur/autrice : perspektives

Didier Levreau, créateur en 2010 du site Perspektives, 10 ans d'existence à ce jour