L’or noir en Guyane embrouille les socialistes et sidère (1) les écolos

Nous avons des automobiles, des appareils électriques, nous prenons l’avion, nous sommes tous pollueurs. Mais on peut freiner notre capacité à  nuire. L’épisode du pétrole guyanais et de ce ministre débarquée pour avoir voulu ralentir la marche des compagnies pétrolières interroge sur la parole des politiques, leur sincérité quand ils sont dans l’opposition, puis quand ils sont au pouvoir. Retour sur une histoire d’or noir.

 En septembre 2010, les groupes Total et Shell annoncent la découverte d’un important gisement de pétrole à  150 kilomètres au large de la Guyane. Une découverte à  risque et co ûteuse à  exploiter, puisqu’il s’agit de forer à  6000 mètres sous la surface de l’eau , mais potentiellement à  fort enjeu, assurent les pétroliers. Il y aurait des milliards de barils enfouis là -bas sous les eaux. La Guyane, déjà  riche en or, deviendrait-elle un nouvel eldorado du pétrole ? Certains en rêvent, voient déjà  la facture pétrolière française diminuer, ces territoires devenir un nouveau  » Qatar ». Ils oublient que la quête de l’eldorado a déjà  fait une fois le malheur de ce continent.

Les seuls à  résister sont les défenseurs de l’environnement et les pêcheurs qui vivent de cette mer, l’utilisent. La pêche est la troisième force économique de la Guyane, elle emploie un millier de personnes. Mais ils pèsent peu comparés aux enjeux des gains pétroliers, même incertains.

Les autorisations de forer ont été accordées par la préfecture et les travaux ont commencé en 2011. L’étude d’impact sur l’environnement et les ressources halieutiques devait être financée par les industriels, mais ils n’ont pas déboursé un centime, c’est le comité des pêches et le WWF qui a pris cette enquête à  sa charge. Etablir un état des lieux était nécessaire avant l’engagement de ce chantier colossal, mais le dialogue avec les  » locaux » n’a jamais paru être une priorité:  » Nous n’avons pas le sentiment d’être écouté » déclare en avril 2011 Patricia Triplet, directrice du comité régional des pêches. (2)

Un ministre ne pése pas plus qu’une mangrove

Au mois de mai 2012, sous le gouvernement Sarkozy, quelques jours avant les élections, une nouvelle autorisation est donnée pour la poursuite des forages. Un mois plus tard, les élections présidentielles voient la victoire de François Hollande et l’arrivée de Nicole Bricq au ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Un beau ministère.

La nouvelle ministre va vite, trop peut-être: le 12 juin, elle annonce revenir sur la décision du 22 mai. Elle ne parle pas d’interdire la poursuite du chantier, mais seulement de stopper les deux arrêtés préfectoraux et de retarder l’exploration pétrolière pour une  » nécessaire remise à  plat de l’instruction des demandes de permis afin de ne pas sacrifier l’environnement ». Il s’agissait notament de refondre le code minier dont les critères administratifs prennent peu en compte l’impact sur la nature. Fraîchement nommée on peut estimer que la nouvelle ministre a fait normalement son travail sur un dossier sensible, et qu’elle remet l’Etat et la puissance publique à  sa place dans les affaires. Un retour à  l’Etat souvent mis en avant par les socialistes durant la campagne électorale. Cela semble cohérent. On y reviendra.

Mais que pèse une ministre face à  la puissance des pétroliers ? Pas plus qu’une mangrove sans doute.

Le ministre voulait ralentir une procédure et obtenir plus de garanties alors que le bateau de forage, loué a-t-on dit, près d’un million de dollars par jour à  une compagnie de navigation suédoise, était déjà  en route pour la Guyane et devait explorer les fonds sousmarins à  partir du 20 juin. Les pétroliers avaient déjà  engagé 250 millions de dollars dans le projet, la majorité des élus de la Guyane les soutenait, quelques coups de téléphone ont suffit pour annuler l’annulation ministérielle, revenir aux arrêtés du mois de mai, ceux pris sous le gouvernement Sarkozy, et changer de ministre.

La théorie à  Rio, la pratique au large de la Guyane.

Ce n’est pas très glorieux pour ce jeune gouvernement qui n’a pas connu ses cents jours avant de montrer les premiers signes de renoncements face au réalisme économique et politique. Alors pourquoi ne pas le dire simplement sans utiliser la langue de bois, ni prendre les électeurs pour des sots. Comment un premier ministre peut-il dire sans rire qu’il n’y a pas « de lien direct entre les forages en Guyane et le changement de ministère de Nicole Bricq. » Propos répétés sans honte dans le journal le Monde par Jean-Vincent Placé, sénateur Europe Ecologie- Les Verts. Moins de deux mois après les élections, un tel cynisme de la part de ceux  » qui voulait faire de la politique autrement » laisse pantois.

Ce feuilletton post électoral, d’un ministre débarqué pour excés de zéle, tombait en plein sommet de Rio sur l’environnement, symbole de tous les renoncements. Ce sommet inutile a validé la priorité de la croissance et des intérêts des grandes multinationales sur le reste. L’économie et la pensée dominante l’ont emporté: la théorie à  Rio et, pour la France, les travaux pratiques au large de la Guyane.

François Hollande est difficilement audible sur ce sujet. Pendant que sans état d’âme il déplaçait un ministre et répondait aux attentes et à  l’urgence des pétroliers, il déclarait à  Rio:  » C’est une étape, mais elle est insuffisante », constatant la faiblesse des conclusions du sommet. Et sur la protection des océans:  » J’ai été alerté par plusieurs rapports sur l’état des océans et la disparition des espèces. Nous ne pouvons rester sans rien faire. » On peut imaginer que c’est à  partir des mêmes rapports et en  » voulant faire quelque chose » que son ex ministre de l’écologie a souhaité obtenir plus de garanties sur un projet de forage en haute mer, dans une zone particulièrement sensible. Mais comment résister aux compagnies pétrolières ? Malgré tous les discours de campagne, les faits sont là , la marge des politiques, de droite ou de gauche, est étroite. Hollande aurait pu faire comme Obama ou Merkel, ne pas aller à  Rio et ainsi éviter de parler dans le vide.

A Paris, le ministre du redressement productif, jadis chantre de la démondialisation chez les socialistes, n’a pas joué un rôle neutre dans l’affaire guyannaise.

Il y a quelques mois seulement, pendant les primaires socialistes, Arnaud Montebourg qui devait se positionner à  la gauche du PS pour exister et cela a marché puisqu’il a obtenu 17% des voix, déclarait :  » Ce que je veux, c’est transformer le système économique, créer un capitalisme coopératif, émancipé de la finance … Le moment est venu que l’Etat redevienne fort et prenne le contrôle de l’économie. »

Répéterait-il ses propos alors qu’il est devenu ministre du redressement productif ? Un drôle de truc. Ce qu’il disait à  propos de ses camarades du PS auxquels il reprochait tant d’immobilisme on peut le lui appliquer:  » Est-il capable de se dépasser lui-même, une fois entré dans sa peau de ministre ? »

Et pour finir, puisque nous aimons les mises en perspectives, l’extrait d’un propos vieux de quelques mois de Cecile Dufflot, secrétaire nationale d’Europe Ecologie dans une autre vie et ministre du logement depuis peu. Le titre était :  » Comment sortir de la dépendance du pétrole ?

 » Sortir de la pensée unique énergétique suppose faire preuve d’anticipation, d’inventivité et de volonté politique… la France dominée par les lobbys du tout pétrole et du tout nucléaire, ne consacre qu’une partie infime de ses credits de recherche publics à  l’efficacité énergétique et au développement des énergies renouvelables. La fin de notre accoutumance à  l’or noir sera soit imposée brutalement par la réalité du pic pétrolier et organisée de manière autoritaire par en haut, soit assurée par en bas, par une société mobilisée. »

Mais mobilisée autour de quoi et de qui. Les stratégies électoralistes et politiciennes d’accés au pouvoir ne suffisent pas à  faire un électorat et peuvent conduire, en temps de recession et de crises, aux pires dérives populistes. Sans volonté politique ni inventivité du nouveau pouvoir, sans sincérité ni transparence, les réveils risquent d’être difficiles.

NDRL

(1) du verbe sidérer qui signifie frapper de stupeur, la stupeur étant un  » étonnement profond » à  la suite duquel il est légitime d’attendre une réaction vive.

(2) Des Guyanais s’interrogent tout de même sur le bien fondé de ces forages et leurs conditions dans une société socialement et humainement fragile. Ce vendredi 29 juin 2012 à  19h à  l’hotel Amazonia à  Cayenne en Guyane, le MDES ( Mouvement de décolonisation et d’émancipation sociale) organise une conférence débat sur le suicide des jeunes sur fond d’exploration pétrolière.

Le taux de suicide des jeunes amérindiens en Guyane atteint des pourcentages très alarmants, signe d’un mal de vivre et d’une société qui se porte mal. Quel impact un « miracle pétrolier » aurait sur cette société ? Florencine Edouard de l’ONAG, ( organisation des nations autochtones de Guyane) interviendra. L’ONAG est née d’une scission au sein de la FOAG ( Fédération des organisations autochtones de Guyane).

Auteur/autrice : perspektives

Didier Levreau, créateur en 2010 du site Perspektives, 10 ans d'existence à ce jour