Bretagne, pays de loire, aberration politico-administrative

Les découpages administratifs et géographiques, les frontières entre pays et régions sont des instruments politiques au service de logiques parfois évidentes, parfois dissimulées. Les grands et les petits conflits de ce monde, on le constate encore aujourd’hui, ont souvent pour origine ces découpages et quelques fois ces aberrations mis au service de pouvoirs qui divisent pour mieux régner. Appliqué à la Guadeloupe, petit territoire à la fois département et région, ce raisonnement prend une autre dimension.
Deux assemblées sur un même territoire peu étendu qui se concurrencent et rivalisent en politique sont-elles pertinentes ? Une seule assemblée, cohérente et homogène, dotée de plus de pouvoirs, qui rassemblerait sur ses bancs tous les courants politiques de l’archipel, ne serait-elle pas plus efficace ? A ce jour, les guadeloupéens pensent que non, par crainte de donner trop de pouvoir à une seule tête, une seule assemblée plus puissante, en laquelle ils n’ont qu’une confiance très relative. Statuts et découpages administratifs sont pourtant des éléments décisifs du développement économique, social et politique d’un territoire.

Sur ce thème, nous publions un article de Pierre Scordia, français vivant à Londres, très attaché à l’identité bretonne qui observe comment le découpage des régions de l’ouest en France tend à affaiblir l’identité bretonne.

Les Pays-de-la-Loire un fourre-tout illogique

Lorsque vous regardez une carte de France, vous observez une anomalie dans la forme des régions, une en particulier: les Pays-de-la-Loire, région fantoche créée par l’État français pendant la deuxième moitié du XXe siècle dans le seul but d’affaiblir sa voisine à l’identité régionale très forte : la Bretagne.

Il est clair que pour Paris, l’idéal serait une carte où vous auriez au centre (centre-Nord pour être plus précis) la capitale entourée de tous ses satellites dénommés par des points cardinaux : la région Nord, la région Sud, la région Sud-Ouest, la région du Grand-Ouest, la région du Grand-Est et la région Centre. Ainsi n’y aurait-il pas de meilleures dénominations pour rendre impossible le rayonnement de la province française à l’international. La vieille élite de l’ère pré-macroniste a changé progressivement le nom des régions millénaires françaises : adieu l’Alsace-Lorraine devenue Grand-Est. La nouvelle région au nord a tout de même évité le pire en adoptant la belle dénomination vide de sens : « les Hauts de France ». Quant à la Provence-Côte d’Azur dont le nom fait rêver le monde entier, elle a été rebaptisée Région Sud (officiellement Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur, comme si le nom n’était déjà pas assez long). On pourrait se demander si Messieurs Estrosi et Muselier ont souvent séjourné à l’étranger… Sud ? Qu’est-ce au juste ? Bordeaux, Toulouse, Marseille, Mayotte ?

La création de la région du Grand-Ouest (fusion de la Bretagne et des Pays-de-la-Loire) a été empêchée in-extremis par le refus catégorique de l’actuel ministre français des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, trop conscient du danger qu’un tel découpage représenterait pour sa région natale dont il fut le président ; le breton est déjà une langue en danger d’extinction, le bilinguisme des panneaux de signalisation encouragé par la région Bretagne est l’une des dernières tentatives pour sauver cette langue celtique de l’anéantissement. Cependant, le prix à payer a été d’affaiblir le poids économique de la Bretagne, la Loire-Atlantique étant injustement reléguée dans les Pays-de-la-Loire.

Pas de méprise, vous ne trouverez pas les beaux châteaux de la Loire dans les Pays-de-la-Loire qui sont en réalité une imposture dénominative. La plupart des châteaux se trouvent dans la région voisine « Centre » qui après avoir bataillé pendant de nombreuses années a été enfin autorisée par Paris à se renommer « Région Centre-Val de Loire ». Les Pays-de-la-Loire ne sont qu’un fourre-tout illogique qui réunit le poumon économique de la Bretagne (le pays nantais), l’Anjou, le Maine et une partie du Poitou (la Vendée). Seulement deux des cinq départements ont la Loire qui les traverse.

Une réforme territoriale respectueuse des identités régionales s’est heurtée à l’avis de nombreux élus locaux faisant fi de l’opinion des citoyens de leur municipalité et de leur circonscription. Peut-être étaient-ils plus préoccupés par des perspectives de carrière que par la création de régions cohérentes ? François Fillon qui s’est forgé une réputation de malhonnêteté refusait l’éclatement de la région Pays-de-la-Loire dont il fut président entre 1998 et 2002. Il aurait déclaré qu’il serait dommage de détruire 30 ans d’efforts et de travail, en d’autres mots, qu’il serait préférable de détruire 1200 ans d’histoire en amputant la Bretagne.

La fille d’un ami habitant Quimper (en Basse-Bretagne) avait placé Nantes en Bretagne lors d’un examen de géographie, cela fut sanctionné par un zéro car, selon la prof, Nantes n’était plus en Bretagne mais dans les Pays-de-la-Loire quoiqu’en réalité le pays nantais ait toujours été en Haute-Bretagne. Cette appréciation équivaudrait à nier que Belfast se trouve en Irlande ! Enfin, certains bureaucrates ont trouvé un argument irréfutable, une guerre potentielle de clochers empêcherait d’avoir deux « grandes villes » – qui n’en sont pas – Rennes et Nantes dans une même région. Comme si on interdisait de mettre Marseille et Nice dans la région Provence-Côte d’Azur !

Certes, on peut arguer d’un simple tracé administratif mais le problème est que la Région des Pays-de-la-Loire tente à tout prix de créer une identité ligérienne et celle-ci passe par la destruction de l’identité bretonne dans le pays nantais. Cette politique porte quelques fruits puisque plus de 25% de la population Loire-Atlantique ne se considèrent plus bretonne (contre environ 70% qui souhaiteraient le rattachement de leur département à la région Bretagne).

Alors que l’austérité est en place, on a laissé l’ancienne administration socialiste de la Région Pays-de-la-Loire dépenser plus de 105 millions d’euros pour promouvoir l’image de leur région méconnue : un échec selon Frank Louvrier, nouveau président du comité régional du tourisme qui a déclaré que la destination touristique Pays-de-la-Loire n’existe pas. On laisse désormais aux communes la gestion de la promotion touristique ; la dénomination Bretagne Plein Sud ou Bretagne Loire Océan est désormais préférée. D’ailleurs, tous les magasins destinés aux touristes, à Nantes ou à la Baule, sont centrés sur la Bretagne. On soupçonne le gouvernement français de vouloir retirer Nantes de la cour d’appel de justice de Rennes – seule administration qui respecte encore l’intégralité territoriale de la Bretagne – et de la rattacher à la juridiction d’Angers qui n’en a pas la capacité, quitte à payer des millions d’euros supplémentaires.

Il est risqué de prendre la défense de l’identité régionale. On peut perdre toute crédibilité et être catalogué : passéiste, ringard et même antirépublicain. De même dans les médias, vous trouverez de nombreux journalistes qui se moqueront de cette revendication régionale des Bretons. Certes, la Révolution française a apporté de nombreux bienfaits mais ce n’est pas une raison pour faire table rase du passé.

A Paris, on se rend compte qu’une méconnaissance de la péninsule armoricaine et que de nombreux préjugés sur les Bretons persistent. Pourtant, les Bretons restent modérés, libéraux et pro-européens. La Bretagne n’a jamais été une terre de prédilection pour le Front National, la gauche extrémiste et les mouvements populistes. Il s’agit en réalité de la région la plus riche par habitant et la plus diplômée. Rien d’étonnant qu’elle ait voté massivement pour Emmanuel Macron et son parti La République en Marche lors des élections de 2017.

Il est temps qu’un Président français récompense le régionalisme ouvert car contrairement à la Corse ou même à la Catalogne, l’identité bretonne se base sur ce mantra : « qui aime la Bretagne est breton ». Espérons qu’Emmanuel Macron fera justice à une Bretagne loyale et fière de son identité à la fois française, républicaine et bretonne et qu’il ne s’opposera pas à une éventuelle réunification de la Bretagne.

Auteur/autrice : Pierre Scordia

Professeur à l'University College London (Grande-Bretagne) et fondateur du site form-idea.com (Facebook.com/formidea)

2 réflexions sur « Bretagne, pays de loire, aberration politico-administrative »

  1. Découpage et frontières bizarre, nous en savons quelque chose ici dans la Caraïbe avec des pays aux langues et cultures différentes, fabriqués par les affrontements historiques entre puissances européennes. La Guadeloupe, département français à côté la Dominique anglophone et indépendante, Antigue au nord, pareil, Saint-Martin, moitié française, moitié hollandaise, plus au nord Porto-rico hispanophone et rattachée aux USA, puis Cuba imprégné de culture latine et espagnole, Saint-Domingue moitié hispanophone, moitié francophone avec Haïti, l’Histoire a laissé partout de drôle de frontière

  2. Ce que vous écrivez à propos de la Guadeloupe est juste, c’est ce qu’ont compris les Martiniquais dont le statut a évolué et les Corses aussi, les guadeloupéens sont frileux et n’ont pas vraiment confiance en leurs politiques, ni en leurs indépendantistes/autonomistes ce que les Corses et les Martiniquais ont su faire.

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