Guadeloupe : comment passer de l’assimilation/dépendance à la différenciation/autonomie ?

Le mois de juin n’a pas été que foot même si dans les cases et les chaumières on parle plus de ballon rond que d’empoisonnement des terres agricoles en Martinique et Guadeloupe et des conséquences qui vont avec.
Le chlordécone donc il en a été question à plusieurs reprises dans les médias ces dernières semaines. On a reparlé des honteuses dérogations accordées aux planteurs par l’Etat, des trois ministres de l’agriculture qui ont cédé à la pression des lobbies bananiers alors que le produit était interdit dans l’hexagone; de la plainte déposée par l’association Envie-Santé …
Par ailleurs, la version 2018 des Assises des Outre-mers a eu lieu à Paris, une synthèse a été rendue publique le 28 juin en présence du président de la République et d’un parterre d’élus.
La mise en perspectives de ces deux informations nous a semblé intéressante: aux Assises il n’a pas été question du chlordécone dont les effets négatifs sur la santé en Guadeloupe et Martinique sont de plus en plus avérés. Faut-il s’en étonner ?
A Paris, le président de la République a évoqué la modification de l’article 73 de la Constitution et la nécessaire  » différenciation et adaptation des normes aux besoins des territoires ( d’outre-mer) pour en accélérer le développement. » Mais quel développement ?
Et de quelle différenciation s’agit-il ? Le cynisme latent a toujours été, dans les relations entre la France de l’hexagone et ses lointaines périphéries, d’alterner différenciation et assimilation, selon les besoins et les nécessités.
Si on remonte deux siècles en arrière, la différenciation était maximale avec l’esclavage légal et structuré dans les colonies et illégal sur le sol de la  » métropole ». Puis l’assimilation a été affirmée en 1946, au moment de la départementalisation de la Guadeloupe, de la Martinique et des anciennes colonies, mais détournée quand cela a été nécessaire: l’affaire du chlordécone en est l’exemple: ce qui a été autorisé ici était interdit là-bas.
Le passif est si lourd dans les relations entre la France et ses  » périphéries » que les bonnes intentions ne suffiront pas pour  » repartir » sur de bonnes bases, si cela est possible.
Il y a un inventaire à faire, des omerta à libérer et des tabous à dépasser.

Un ancien ministre de l’Outre-mer qui n’a pas tenu longtemps à ce poste a effleuré un de ces tabous dans le livre qu’il a écrit après la longue grève de 2009 menée par le LKP. Le titre du livre  » 15 mois et 5 jours entre faux gentils et vrais méchants » donne le ton. Comprendre qui sont les vrais méchants et les faux gentils, c’est commencer à comprendre les ambivalences et les injonctions souvent contradictoires des relations entre la France et ses  » outres-mers », mais aussi à l’intérieur des territoires eux mêmes: tout le monde se connait mais le  » masko » (1) est la règle et personne ne se parle vraiment. L’instauration d’un rapport de force qui ramène toujours à la case départ a toujours prédominé sur un dialogue sincère qui aurait pu faire sauter les verrous et les non-dits du passé.
Yves Jego en a fait l’expérience: il est arrivé en terrain miné et ne l’a compris que lorsqu’il a été limogé par son premier ministre.  » Le Medef, écrit-il, dans son livre, sauf erreur de ma part, est censé être un des syndicats patronaux légitime pour négocier et discuter. En Guadeloupe il est représenté par un homme fort sympathique (…) mais sans aucun pouvoir de décision. Durant nos réunions il devait sans cesse rendre compte et s’absentait pour téléphoner à ceux qui détiennent l’économie de la Guadeloupe entre leurs mains. Mais ceux-là restaient invisibles, ils n’ont jamais daigné paraître à la table de négociations. » Qui détient vraiment le pouvoir en Guadeloupe et en Martinique ?

Un texte de Alain Plaisir, président du Cippa ( comité d’initiative pour un projet politique alternatif) circule ces jours-ci sur les réseaux sociaux. Il apporte une partie de la réponse et dit que l’intérêt réel de la Guadeloupe et des Guadeloupéens ne coincide pas avec les intérêts de ceux qui contrôlent l’import-export, ni avec le modèle de développement imposé depuis plusieurs décennies, qu’il faut en sortir. Mais comment ?

Besoins intérieurs- besoins extérieurs
Le clivage est là entre intérieur et extérieur : le développement endogène, la production locale, l’autonomie alimentaire n’ont jamais été prioritaires. L’archipel France comme dit Macron a toujours privilégié son centre.
« Pendant la période coloniale, écrit Alain Plaisir, l’agriculture avait comme objectif de fournir des produits tropicaux à la « métropole » au détriment des cultures maraîchères et de l’élevage. C’est ainsi que dans les années 1920 a été introduite en Guadeloupe la culture de la banane, afin que les européens avides de fruits tropicaux puissent manger des bananes. Pendant que l’élevage et les cultures maraîchères étaient progressivement abandonnées, la Guadeloupe était couverte de bananeraies. Nos besoins alimentaires étaient et sont de plus comblés par les importations. Fin 1970, la production de bananes atteint son apogée avec plus de 150 000 tonnes faisant la fortune de certaines familles békés (2). Malheureusement, ce qui devait arriver arriva. D’abord la concurrence des pays ACP et des pays de la Zone dollar, et ensuite, pour éradiquer les charançons, les planteurs demandèrent une dérogation pour utiliser un pesticide interdit partout dans le monde. Résultat, des centaines hectares de terres sont polluées par le chlordécone. Et malgré toutes les aides de l’Etat et de plus en plus de la Région, la production atteint péniblement 60 000 tonnes, quand il n’y pas de cyclone comme en 2017, où la production a disparu pendant de nombreux mois. Voilà, ce qu’ a donné, une politique basée uniquement sur la satisfaction des besoins extérieurs.
Aujourd’hui, des élus veulent sacrifier la production agricole et la conquête du marché intérieur pour une politique économique basée sur le TOUT TOURISME. Faire venir 1 million de touristes, alors qu’il n’y a pas d’eau pour les habitants, que les déchets ne sont pas traités et que la production agricole, artisanale et industrielle est au plus bas.
Le tourisme ! pourquoi pas ? mais notre économie ne peut pas être basée sur le TOUT TOURISME. Le tourisme comme la banane n’est pas à l’abri de phénomènes que nous ne maitrisons pas : aléas climatiques avec les cyclones, sargasses, tremblements de terre et autres catastrophes, sans compter la concurrence des autres destinations.. »

Le nouveau gouvernement sera-t-il assez fort ou sincère pour changer la règle du jeu des Outre-mers en ne cédant pas à la pression des lobbies qui depuis toujours font la pluie et le beau temps de ce côté ci de l’Atlantique : lobbies des grands planteurs, de l’import-export, de la grande distribution, de la consommation de masse, destructrice sur de si petits territoires.
Et que pèse Annick Girardin, la ministre des Outre-mers ? Pour avoir tenté une approche différente de ses prédécesseurs et essayé de comprendre, le ministre Jego n’a tenu que quinze mois. Mme Girardin semble à la fois sincère et engagée, mais ceux qui l’ont approché disent qu’elle est sympathique mais dépassée tandis que sur le dossier calédonien elle a donné l’impression que son pouvoir de décision était limité.
Les Outre-mers accumulent une masse de dossiers sensibles pour lesquels la bonne volonté et la sincérité sont inopérants si elles ne s’appuient pas sur une forte volonté politique de changer les règles du jeu. Jego en a fait l’expérience.
Il reste une inconnue : la  » ligne directe » avec l’Elysée dont se vantait de bénéficier un grand béké martiniquais fonctionne -t-elle avec le jeune président Macron. Celui-ci voulait tourner la page de l’ancien monde, il a, avec le dossier Outre-mer, une occasion en or de le faire. Mais ce sera dur.

NDLR
(1) En créole, l’art de l’esquive, de la dissimulation

(2) En Martinique, nom donné aux grands propriétaires blancs, descendants des colons. En Guadeloupe le terme  » blancs-pays » est plus couramment utilisé.

2 réflexions sur « Guadeloupe : comment passer de l’assimilation/dépendance à la différenciation/autonomie ? »

  1. en Guadeloupe on fait du développement à moindre coût, le tourisme ou on construit du bâtit et on forme peu sur l’humain. il y a un projet que sera très dangereux pour l’agglomération de pointe-à-pitre la karukera bay où il y aura la possibilités d’avoir trois bateaux de croisière sur la baie de pointe-à-pitre ce qui va faire GRIMPER le niveau de pollution.
    https://www.youtube.com/watch?v=wUo7dLzyQJc
    la Guadeloupe a besoin de se former sur l’humain pour développer ses industries (alimentaire, pharmaceutique,technologique,énergétique) .
    Ce que fait parfaitement un pays comme Islande avec moins d’habitant que nous, je crois même qu’ils ont plus d’universités que la Guadeloupe.
    Le tourisme n’est pas à négliger, mais elle ne peut pas être la priorité, car dans l’histoire du monde aucune cité ou pays s’est développé grâce au tourisme.
    Singapour ne s’est pas développé grâce au tourisme idem pour Hong-Kong et la France aussi, le tourisme est l’aboutissement du développement, quand ton pays est reconnue pour ses connaissance et son savoir faire à partir de là, le tourisme se fera naturellement, car la Guadeloupe sera vue et reconnue comme un pays attrayant et beaucoup de gens dans le monde voudront vivre et passer des vacance en Guadeloupe.

  2. C’est curieux l’utilisation du terme différenciation par Macron en parlant de la France du centre et de ses périphérie. Que veut dit ce mot.
    En psychologie: Différenciation c’est « la capacité de distinguer deux stimulus différents, qui se traduit dans un comportement ; acquisition de cette capacité ou changement progressif dans l’évolution ou le développement de l’individu, qui conduit à l’existence de différences. »
    Ainsi a-t-il fallu plus de 70 après la départementalisation et la logique d’assimilation pour reconnaître que les Dom  » ce n’est pas tout à fait la France ». Bref la Martinique, la Guadeloupe … les quatre vieilles avec Réunion et Guyane ne peuvent pas être administrées comme la Drôme ou la Lozère. Mais alors les administrer comment ? Faire en sorte qu’elles s’administrent elles-mêmes ce qui semblerait logique, mais est-ce possible après tant d’années de vie commune et d’imbrication ? Et puis en Lozère il n’y a pas de  » Montagne d’or », alors qu’il y en a en Guyane.

Les commentaires sont fermés.