Transport, urbanisme et insularité, le dilemme guadeloupéen

L’hebdomadaire guadeloupéen Nouvelles Semaine a consacré au mois d’août un dossier au transport multimodal en évoquant l’annonce par le conseil départemental de la création de bateaux-bus pour désengorger les routes de l’île. Plus de 200.000 véhicules automobiles sont immatriculés en Guadeloupe pour une population de 400 000 habitants sur un territoire limité ( 1 628 km2) cerné par les eaux, inextensible, sur lequel il serait à la fois impossible et aberrant, d’élargir sans fin les routes pour y faire passer plus de voitures.
La solution est donc ailleurs et la prise de conscience nécessaire, voire urgente. En ces jours de rentrée scolaire et de  » rentrée tout court » il va à nouveau falloir quasiment une heure et demi pour aller de Pointe-à-Pitre à Ste-Rose aux heures de pointe; quasiment autant pour aller de Jarry au Moule, sans parler du temps nécessaire aux mêmes heures pour se rendre de l’agglomération pointoise à Basse-Terre ou St François.
Ces temps de trajets commencent à poser de vrais problèmes de développement du territoire et de vie quotidienne aux résidents mais aussi aux touristes. Imaginez la réaction d’un  » vacancier » qui, venant séjourner sur « l’île aux belles eaux » reste bloqué une heure et demi dans les embouteillages – autant que sur le périphérique parisien aux heures de pointe – en revenant d’une balade en montagne. La  » douceur des îles » qu’il croyait trouver finit par ressembler à un enfer routier. Alors que faire ?
 » Il s’agirait d’offrir une alternative à la voiture individuelle et désengorger un réseau qui, aux heures de pointe, transforme les routes de la conurbation pointoise en un long serpent … de terre. » écrit Jacques Dancale dans Nouvelles Semaine. Le bateau-bus est une alternative possible, encore faudra-t-il, dans sa continuité mettre des correspondances fiables. Et vu la configuration de Jarry, ce monstre urbanistique entièrement dédié à l’automobile, où le malheureux piéton égaré dans cette zone commerciale se sent moins écrasé par la chaleur que par la configuration des lieux, il faudra sérieusement travailler sur les cheminements, les passages pour piétons, la fluidité de la circulation et la révision complète des espaces.
Comme le remarque l’hebdomadaire, ce n’est pas gagné, quand on observe comment Jarry se développe encore de manière désordonnée, au fond de cul de sac, sans trottoir, sans liens, sans réflexion globale.

A-t-on un jour réfléchi à un modèle de développement spécifique ?
Ceux qui aujourd’hui ont à prendre des décisions, faire des choix et avoir une vision pour les trente ans à venir héritent , sur le plan de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire, d’un pesant état des lieux: la concentration de l’activité économique sur Baie-Mahault – Abymes-Pointe-à-Pitre et le mitage de l’habitat partout ailleurs fait que chaque matin et chaque soir le même va et vient se produit, entre des sortes de banlieues plus ou moins lointaines qui ont poussé sans réelle concertation, au gré des terrains disponibles avec ou sans permis, et les zones d’activités très concentrées.
Il n’y a rien de très original à cela, pourrait-on dire, c’est ce que vivent la plupart des habitants des grandes métropoles, ailleurs dans le monde. La Guadeloupe après tout n’aurait-elle pas droit à ses embouteillages pour  » faire comme tout le monde ». Certes, mais nous vivons sur un petit archipel, sans arrière-pays, sans grands espaces en réserve comme en possèdent la plupart des métropoles américaines ou européenne, en continuant ainsi le risque ici, est d’atteindre une saturation insupportable et nuisible aux déplacements et à l’activité économique elle-même.
Alors quelle alternative à la voiture ? Ce « miracle technologique » devenu si encombrant.
On parle du bateau-taxi, du tram, de l’eau et du rail.
Si l’on se penche sur l’histoire, pas si lointaine de la Guadeloupe, on va trouver qu’une sorte de bateau-taxi faisait jadis la navette entre la Darse à Pointe-à-Pitre et Petit-Bourg. Fortuné Chalumeau l’évoque dans une biographie romancée de Saint-John Perse. Il raconte comment le futur poète, enfant, prenait le bateau, il y a un peu plus d’un siècle, à la Darse pour se rendre sur la Basse-Terre :
« On nous déposa au débarcadère de la Darse où le petit vapeur s’apprêtait à déhaler. Ce serait comme de coutume une bien agréable promenade en mer. On s’installait parmi les ballots, avec les animaux et les personnes, de qualité ou non, tout le monde se trouvant au coude à coude à cause de l’espace étroit ( …) J’adorais ces traversée qui ne duraient guère plus d’une heure. On mettait le cap en direction de la passe de l’îlet à Cosson ( … ) la passe franchie et la barge engagée dans le Petit- Cul-de-Sac marin le navire roulait bord sur bord … puis il virait à l’ouest, courant vent arrière, changement qui guérissait les personnes malades et rassurait les poltrons. Enfin, on effleurait l’îlet Fortune et les bancs de sable et de coraux, pour après un ultime effort, venir s’amarrer à l’estacade de Petit-Bourg, sur lequel les gens attendaient. »
Ni le pont de la Gabarre, ni celui de l’Alliance n’existaient en ce temps là et il n’y avait pas 200 000 automobiles en Guadeloupe.
Quant au rail, il y a eu un chemin de fer en Guadeloupe pour acheminer la canne à Darboussier et à Beauport. Quelques vestiges subsistent au Nord-Grande-Terre.
Revenir au transport par la mer et par le rail, serait en Guadeloupe, d’une certaine manière revenir aux sources et à une certaine logique du territoire qui existait avant l’urbanisation galopante et le développement des modes de vie et de consommation qui se sont instaurés à partir des années 1970 jusqu’à aujourd’hui en bouleversant ce qu’on peut appeler un certain  » art de vivre guadeloupéen ». Revenir en arrière, non, mais ne faut-il pas s’inspirer de ce qui a existé en l’adaptant aux besoins du XXIem siècle ?
Au final on peut s’interroger: l’insularité n’aurait-elle pas dû ou pu induire un modèle de développement spécifique qui ne soit pas calqué sur celui des grandes concentrations de populations continentales. Avec des modes de transports adaptés à la taille et à la géographie de l’île qui ne laissent pas la place au  » tout automobile » sachant qu’à terme l’espace finirait par manquer. Quoiqu’on fasse la Guadeloupe ne peut supporter la construction d’autoroutes à quatre voies pour fluidifier la circulation comme c’est le cas dans les grands espaces californiens ou ailleurs. Ici les hectares manquent.
Inverser la tendance, signifie qu’il va falloir pour les années à venir, si on veut garder un territoire agréable à vivre, se pencher sérieusement sur la question et corriger les aberrations territoriales en déconcentrant, en fluidifiant, en proposant des transports collectifs réguliers, fiables et à un prix raisonnable.
On observe que les zones d’activités s’agrandissent et se multiplient sans donner l’impression d’avoir été intégrées dans une réflexion globale à l’échelle de l’île. Le point de saturation n’est pas atteint, mais il est proche.
L’insularité est une contrainte qui, si elle n’est pas subit, peut stimuler la créativité et l’innovation, deux approches qui ont manqué lors des quarante dernières années de développement, l’aménagement du territoire ayant consisté essentiellement à reproduire des modèles « continentaux » inadaptés à la taille du territoire, à l’économie et à la géographie insulaire.
Tout n’est pas perdu, mais il y a urgence.

3 réflexions sur « Transport, urbanisme et insularité, le dilemme guadeloupéen »

  1. Améliorer les réseau routier est nécessaire mais pas suffisant … il faut aussi d’autre solutions de déplacements que la voiture, qui coûte cher. Ne serait que pour les plus jeunes et les plus modestes. Avoir une voiture est quasi indispensable en Guadeloupe pour se rendre à son travail … Mais combien de jours faut-il travailler dans un mois rien que pour payer les frais de voitures … si on pense à ça et si on fait les comptes on prend peur : Pourquoi travaille-t-on et pour qui ? Pour faire vivre les concessionnaires autos de Jarry et les station service.

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