Moonlight: chef d’oeuvre cinématographique ou riposte politique ?

Moonlight, un film afro-américain avec un casting entièrement noir a remporté l’oscar du meilleur film, un évènement important dans l’histoire des Etats-Unis à l’heure où le pays connaît de grandes tensions socio-raciales exacerbées par une nouvelle administration américaine décidée à rompre avec le multiculturalisme et le politiquement correct, fruits du libéralisme tant décrié par les conservateurs. Mais nous aurions tort de croire que la remise de l’oscar serait une riposte politique anti-Trump de la part de Hollywood. Moonlight est bien un chef d’œuvre cinématographique.

L’histoire relatée en trois temps (l’enfant, l’adolescent et l’adulte) est forte et porte un message d’espoir. Elle raconte la vie d’un jeune afro-américain prénommé « Little » se faisant appeler Chiron. Le film commence par une séquence où l’enfant est poursuivi par une meute de jeunes intimidateurs de Liberty City, un quartier défavorisé de Miami peuplé de Noirs et d’Hispaniques. Terrorisé, il se cache dans un appartement abandonné d’où il sortira grâce à l’intervention d’un gros dealer craint de tous, Juan, qui le prendra sous sa protection. Cet homme dur avec les uns révèle étonnamment une personnalité sensible auprès de l’enfant. Il s’occupe du lui, le nourrit, le loge parfois, lui apprend à nager et à s’accepter tel quel, gay ou non. À travers son regard et ses gestes, on ressent l’affection qu’il porte pour ce jeune garçon introverti, blessé et complexé. Cet homme compensera pour un temps une mère absente et négligente tombant chaque jour un plus bas dans l’engrenage de la drogue. Mais le crack qu’elle fume est celui que fait revendre Juan dans les rues de Liberty City.

Adolescent, Chiron souffre d’intimidation et de harcèlement à l’école. Un jeune homme Terrel le ridiculise, l’insulte et le menace constamment. Son monde se limite à Teresa, l’ancienne compagne du feu Juan, chez laquelle il se réfugie de temps à autres et à Kevin, un camarade de classe avec lequel il obtient son surnom « Black ». Quant à sa mère, elle est tombée dans l’enfer du crack et de la prostitution.

Malgré la peur à l’école et l’univers déprimant à la maison, Chiron continue toujours son chemin mais la tête basse. Un soir, il décide d’aller à la rencontre de Kevin qui habite dans un quartier situé près de la plage. Là, quelque chose d’intime se passe entre les deux jeunes garçons. Le lendemain matin, Terrel, sadique, oblige Kevin à frapper violemment son ami dans la cour du lycée où, une fois à terre la bande du voyou se défoulera sur lui à coups de pied. Face à ce monde de violence et d’acharnement, l’adolescent craque mais refuse de porter plainte.

Le jour suivant, un déclic se produit, il plonge sa tête dans un lavabo rempli d’eau glacée pour enfin relever la tête et se regarder dans le miroir droit dans les yeux. Le regard craintif se transforme en regard vindicatif, mais un regard réclamant aussi liberté et pouvoir. Guidé par une forte énergie, probablement de colère et de révolte, Black retourne au lycée d’un pas décidé, la tête haute. En classe, il brise la chaise sur le dos de Terrel et le roue de coups. Il semble que la violence soit ici le seul moyen de mettre fin à son cauchemar.

Nous arrivons à la troisième et dernière partie du film. Notre héros s’appelle désormais Black et est trafiquant de drogue à Atlanta. Il ressemble beaucoup à son ancien mentor (Juan) : il est grand, fort, très musclé, portant chaîne et dents en or, diamant à chaque oreille. Sa mère vit et travaille dans un centre de traitement pour toxicomanie. Elle l’appelle souvent pour lui demander de passer la voir, ce qu’il finit par faire. Il y une scène de réconciliation forte en émotions.

Un soir, il reçoit un appel surprenant, celui de Kevin qui souhaite le rencontrer à Miami. Black se souvient très bien de lui, comment pourrait-il oublier la personne qui symbolise à la fois l’amour et la douleur de son adolescence ? Il se rend en voiture en Floride, et se dirige vers un « diner », le restaurant où son ami travaille. À la vue de Chiron, Kevin est abasourdi. Il est impressionné par la transformation physique de son ancien camarade, ce n’est plus l’enfant frêle qui est face de lui, mais un homme ayant trouvé force et dignité.

Kevin lui avoue que sa vie n’a pas été celle à laquelle il s’était attendu, mais il est heureux aujourd’hui, avec cette vie modeste mais sereine. Quant à Black, il lui confie que personne ne l’a touché depuis l’aventure sur la plage.

La fin de film n’est pas vraiment celle à laquelle le public s’attendrait, mais pourquoi tout expliquer ou tout idéaliser, le message n’est pas celui de la vie de couple. L’existence est faite d’imprévus. Ce long métrage est d’abord un travail sur l’identité, la race, la masculinité, l’amour, l’amitié et la sexualité. C’est un film avant tout politique. Il faut comprendre la réalité des Noirs américains, ce qu’ils ont vécu et la discrimination dont ils sont encore victimes parfois. Il suffit de voir le film Hidden figures sur l’histoire réelle des trois remarquables mathématiciennes afro-américaines travaillant à la Nasa, discriminées de façon odieuse dans les années 60.

Il faut tenir compte aussi du machisme et de l’homophobie qui prévalent dans la communauté noire, que ce soit dans les quartiers défavorisés et rongés par les gangs et la drogue ou bien dans les congrégations religieuses évangélistes. Ce film ne cache pas les maux et les fléaux qui frappent la société afro-américaine mais il nous les montre sous une autre lumière.

En discutant avec une directrice de Casting, Jill Trevellick (qui a travaillé sur la série Downton Abbey), je me suis aperçu de la difficulté d’un travail que le public ne voit pas forcément, celui qui consiste à trouver plusieurs acteurs pour les mêmes personnages. La réussite de ce film est que le spectateur croit qu’il s’agit bien de la même personne à différents stades de la vie. Les expressions dans les regards de Chiron et de Kevin ne changent guère. Dans ce monde dur, les images restent belles et même parfois oniriques. La scène où Juan apprend à Chiron à nager est particulièrement touchante. Elle s’apparente à un baptême. Les prises de Kevin fumant une cigarette à l’extérieur du restaurant sont d’une rare sensualité.

Il est regrettable que l’oscar du meilleur film ait été attribué par erreur à La La Land, privant ainsi Moonlight d’une consécration immédiate et méritée.

Cet article est déjà paru sur le dite : https://form-idea.com/

Auteur/autrice : Pierre Scordia

Professeur à l'University College London (Grande-Bretagne) et fondateur du site form-idea.com (Facebook.com/formidea)

2 réflexions sur « Moonlight: chef d’oeuvre cinématographique ou riposte politique ? »

  1. Beau film, intéressant , au bon moment comme dit Neg mawon, une réserve quand même la vision un peu trop angélique des dealers et des marchands de cracks. Le  » gentil marchand de crack » existe-t-il ? Peut-être mais je ne l’ai pas rencontré.

  2. Ce film que j’ai vu dans le cadre du festival Nouveau regard en Guadeloupe arrive au bon moment. Emouvant, beau cette manière d’aborder à la fois le monde du crack, de la drogue et l’histoire d’un jeune garçon qui se découvre homosexuel remet en cause tous les préjugés qui courent dans nos îles de la Caraïbe. Et ces préjugés notamment sur l’homosexualité sont tenaces ici, on entend toujours  » Dieu ne l’a pas voulu »,  » C’est contre nature » etc … La  » tradition » confine parfois à  » l’archaïsme » voire à l’étroitesse d’esprit, mais on progresse.

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