« La paix nous fuira-t-elle toujours ? un discours de Jean Jaurés, à  Albi, c’était en 1903

En ces temps agités de guerres, d’exodes, de bombardements d’hôpitaux, de massacre de civils, d’hypocrisie diplomatique, nous proposons de relire l’extrait d’un discours de Jean Jaures  » à  la jeunesse » prononcé en 1903. Au début du XXem siècle, Jaures croyait au progrès et faisait preuve d’optimisme. Raté, il est mort avant d’assister aux  » grandioses déceptions ».

  » La paix nous fuira-t-elle toujours ? (…) Non ! non ! et malgré les conseils de prudence que nous donnent ces grandioses déceptions, j’ose dire, avec des millions d’hommes, que maintenant la grande paix humaine est possible, et si nous le voulons, elle est prochaine. Des forces neuves travaillent : la démocratie, la science méthodique, l’universel prolétariat solidaire. La guerre devient plus difficile, parce qu’avec les gouvernements libres des démocraties modernes, elle devient à  la fois le péril de tous par le service universel, le crime de tous par le suffrage universel. La guerre devient plus difficile parce que la science enveloppe tous les peuples dans un réseau multiplié, dans un tissu plus serré tous les jours de relations, d’échanges, de conventions ; et si le premier effet des découvertes qui abolissent les distances est parfois d’aggraver les froissements, elles créent à  la longue une solidarité, une familiarité humaine qui font de la guerre un attentat monstrueux et une sorte de suicide collectif. »

« Enfin, le commun idéal qui exalte et unit les prolétaires de tous les pays les rend plus réfractaires tous les jours à  l’ivresse guerrière, aux haines et aux rivalités de nations et de races. Oui, comme l’histoire a donné le dernier mot à  la République si souvent bafouée et piétinée, elle donnera le dernier mot à  la paix, si souvent raillée par les hommes et les choses, si souvent piétinée par la fureur des événements et des passions. Je ne vous dis pas : c’est une certitude toute faite. Il n’y a pas de certitude toute faite en histoire … »

Jean Jaures a prononcé ce discours  » à  la jeunesse  » en 1903 à  Albi. Onze ans plus tard il était assassiné et la Première guerre mondiale, avec ses millions de morts, allait suivre. Puis la Deuxième, puis la guerre d’Indochine, puis le Viet-nam, puis l’Algérie, puis le Biafra, puis la guerre civile cambodgienne, puis le Rwanda etc … Un siècle plus tard, on peut dire que le rapprochement des peuples par tous les réseaux connectés n’a pas eu tous les bénéfices escomptés.

Les guerres sont là , des enfants, des innocents meurent sous nos yeux, et la Terre continue de tourner.

Deux informations se télescopent cette semaine. Une fusillade dans une université de l’Oregon aux Etats-Unis a provoqué la mort de neuf personnes. Un homme de 26 ans, en possession de plusieurs armes, a tiré sur des étudiants, pour des raisons encore floues. Le président Obama a réagi en plaidant une fois de plus, mais en vain, pour un contrôle plus strict des armes dans son pays. Mais que contrôle-t-il vraiment ? Le lendemain de cette fusillade, une autre a plus grande échelle s’est produite en Afghanistan: des avions américains engagés dans la guerre afghane ont bombardé  » par erreur » un hôpital. Trois personnes ont été tuées et une trentaine disparues parmi lesquelles du personnel de Médecins sans frontière.

En Syrie, les Russes et les Américains bombardent encore ( avec la participation de la France) pour lutter contre les organisations terroristes et/ou aider la  » résistance syrienne », un imbroglio de milices et de clans – chiites et sunnites, pro et anti Hassad, islamistes et anti-islamistes … – difficile à  dénouer. Cette guerre vide la Syrie de sa société civile, la classe moyenne syrienne est épuisée par la guerre. Des milliers de familles, celles qui en ont eu la force et les moyens, ont abandonné leurs maisons, leurs villes, leurs emplois, pour errer en Méditerranée et sur les routes d’Europe. Cohorte de réfugiés.

« On ne résout pas un problème avec les modes de pensées qui l’ont engendré. »

La phrase est d’Einstien. Si on l’applique aux guerres du Moyen-Orient, d’Afghanistan, d’Irak, comment imaginer qu’une solution raisonnable soit trouvée, puisque les mêmes modes de pensées sont toujours au pouvoir. Depuis plus de trente ans les mêmes protagonistes font vivre et nourrissent ces conflits: principalement les Américains et les Russes. Dans sa partie contemporaine, cette guerre a commencé en 1979 lorsque la Russie soviétique a envahi l’Afghanistan, pays à  la position géographique stratégique et au sous-sol riche en minerais rares. L’affaire part de là . Pour contrer les Russes, les USA et l’Arabie saoudite ont financé la résistance afghane. Pendant dix ans, plus de 6 milliards de dollars ont été dépensés pour armer et former contre les soviétiques, les combattants musulmans parmi lesquels Ben Laden. Les Russes ont fini par quitter l’Afghanistan et les Américains ont pris leur place.

Puis il y a eu le 11 septembre, l’invasion de l’Irak par les USA vendue à  l’opinion internationale par le mensonge des armes de destructions massives. Les mêmes protagonistes pourraient-ils aujourd’hui trouver une fin acceptable aux conflits qu’ils ont suscités. Cela parait impossible. Comme au temps de la guerre froide les deux  » superpuissances » jouent à  la guerre par petits pays interposés pour assoir leur domination.

« La paix nous fuira-t-elle toujours ? » C’est à  craindre. Et si la guerre s’arrête là , elle reprendra ailleurs. Que rapporte la paix ? Rien ne vaut la guerre, le manque, les conflits, la pénurie organisée pour créer des fortunes et, avec le plus grand cynisme, manipuler les opinions publiques.

 » Le capitalisme porte la guerre en lui, comme la nuée porte l’orage … » Jaurès encore, idéaliste et pacifiste croyait pour mettre fin à  cette nuée, qu’un  » commun idéal rendrait les prolétaires de tous les pays réfractaires aux rivalités de nations et de races … » Raté encore, la paix européenne existe mais fragile, on l’a vu en Bosnie, on le voit en Ukraine, les populismes et les nationalismes renaissent, prolétariat est un mot démodé et les anciens soviétiques pratiquent un capitalisme décomplexé et oligarchique pire que celui des Etats-Unis. Bref, ne resterait-il plus qu’Einstein et de nouveaux modes de pensées – qu’on attend encore – pour sauver le Monde.

Auteur/autrice : perspektives

Didier Levreau, créateur en 2010 du site Perspektives, 10 ans d'existence à ce jour