Les travailleurs communautaires  » low cost » un esclavage moderne qui ne dit pas son nom

Le Sénat français a adopté le 16 octobre 2013, une résolution sur les normes européennes en matière de détachement professionnel. Le travailleur détaché dit low cost (bon marché ou soldé) est en ligne directe avec le fameux dogme communautaire qu’est la concurrence libre et non faussée.

 « Le pays exige des expérimentations audacieuses et soutenues. Le bon sens est de choisir une méthode et de l’essayer. » Franklin ROOSEVELT, 22 mai 1932

Le détachement consiste pour un employeur à  envoyer ses employés exercer temporairement leurs fonctions dans un autre Etat membre de l’Union européenne. Les conditions de travail, de charges sociales voire de salaires appliquées sont ceux du pays d’origine.

Initialement, la directive européenne du 16 décembre 1996 relative au travailleur détaché était conçue comme protectrice des marchés du travail des pays aux co ûts de main d’Å“uvre les plus élevés. Elle répondait ainsi aux inquiétudes nées de l’adhésion de l’Espagne, du Portugal et de la Grèce et liées aux différentiels de rémunérations. Elle consacrait ainsi le principe d’application du droit social du pays d’accueil, sauf si la législation du pays de résidence est plus favorable. Il s’agissait de concilier la libre circulation des travailleurs en Europe avec une harmonisation sociale.

A l’épreuve des faits, on constate que nombre d’entreprises détournent la réglementation. Et notamment en matière de salaires, congés payés ou de repos obligatoire. En effet, si les salaires devaient bien être ceux du pays d’accueil, les charges sociales sont acquittées dans le pays d’origine du travailleur.

La directive favorise clairement la pratique de l’optimisation sociale, voire du dumping social. En effet, le texte ne précise pas la nature des entreprises qui peuvent détacher des travailleurs et ne les impose pas d’exercer une activité substantielle au sein du pays d’origine. Par ailleurs, aucune limite de temps ne leur sont imposée. En outre, le dispositif n’aborde que très partiellement la question des contrôles. Il se cantonne à  réclamer la mise en place d’une coopération administrative entre les Etats membres, fortement encadrée par une jurisprudence d’inspiration libérale de la CJUE.

Un  » dumping social » que pratique l’Allemagne

Le travailleur détaché est présent sur les chantiers, les exploitations agricoles, les transports et dans l’industrie. Cette pratique du dumping social se traduit par des pertes d’emplois, une évasion massive de cotisations sociales au détriment des organismes de protection sociale et par l’éviction du marché des entreprises respectueuses du droit social.

C’est ainsi que le principe du maintien de l’affiliation au régime de sécurité sociale du pays de résidence pénalise nos entreprises locales confrontées à  une concurrence déloyale en matière de co ût salarial. A titre d’exemple, dans le secteur du BTP, les cotisations patronales s’élèvent à  plus de 50% en France pour les ouvriers peu qualifiés contre 20% en Pologne.

Les entreprises allemandes utilisent des travailleurs détachés qualifiés de « nouvelle figure de l’esclave moderne  » à  des conditions tarifaires dérisoires, de travail et d’hébergement indignes. Cette pratique constitue une réponse à  leur pénurie de main d’oeuvre (abattoir, bâtiment, agriculture) et renforce leur compétitivité (absence de salaire minimum). Cette optimisation sociale made in Europe explique la procédure en infraction engagée par la Belgique contre l’Allemagne. En effet, ces travailleurs bon marché venus d’Europe de l’Est ou du Sud sont payés 3 à  8 euros de l’heure dans le secteur de l’abattage de viande. Cette dérive met à  mal toute la filière viande dans l’espace communautaire.

Au final, 400 000 salariés détachés en France (341 en Guadeloupe) représentent pour les finances publiques un manque à  gagner de cotisations de 2 milliards d’euros, car payées dans le pays d’origine. En définitive, ce dumping social sape la confiance de nos concitoyens dans les institutions européennes et nationales et nourrissent insidieusement la xénophobie, la peur de l’autre et le repli sur soi.

Le problème de la soustraitance en cascade

Le cadre législatif actuel en matière de sous-traitance est trop permissif. Il autorise l’usage de sous-traitants en cascade (parfois 5 à  6 échelons). En principe, la sous-traitance est permise que si l’entreprise principale rencontre une surcharge de travail ou bien ne possède pas l’expertise technique suffisante. Dans la réalité, la sous-traitance se généralise sans répondre à  d’autres justifications que financières. Ceci au détriment des conditions de travail et d’emploi des salariés à  l’autre bout de la chaîne.

Par ailleurs, la responsabilité solidaire du donneur d’ordre et du maître d’ouvrage reste insuffisamment engagée en cas d’infraction de travail dissimulé. Pourtant, la législation française (article L.8222-2 code du travail) est fortement dissuasive et protectrice des droits des salariés. Parallèlement, la proposition de directive d’exécution du 21 mars 2012 limite la responsabilité solidaire au seul secteur de la construction et au sous-traitant direct. Elle ignore d’autres filières telles le BTP, les transports routiers de marchandises ou l’agriculture. Enfin, l’absence sinon le déficit de contrôle dans les pays d’origine, sont souvent liés à  une coopération qui se heurte à  la mauvaise volonté de certains Etats membres.

Pour mettre fin à  ces abus et fraudes, la proposition de résolution européenne du parlement français vise à  renforcer la directive de 1996 et à  améliorer les dispositions du projet de directive du 21 mars 2012 sur le détachement des travailleurs. Elle tend à  accroître le droit de regard sur les détachements en définissant un certain nombre de contraintes : une liste ouverte de mesures de contrôles, l’extension de la clause de responsabilité du donneur d’ordre et la limitation de la chaîne de sous-traitance.

Détecter et contrôler les entreprises  » coquilles vides »

La logique à  l’oeuvre à  la Commission européenne demeure celle du principe de la libre concurrence (article 56 du TFUE). Toutefois, il nous semblait que le bâtiment, les travaux publics et l’agroalimentaire n’étaient pas délocalisables. Or le constat est fait aujourd’hui que ce sont des travailleurs venus d’autres pays qui occupent ces postes. Faute d’harmonisation sociale communautaire conjuguée à  une absence de contrôle efficace, le salarié à  bas co ût est devenu un outil de concurrence déloyale dans ces différentes filières. Pour y remédier, diverses réformes en matière de convergence sociale, fiscale, de droit de travail et de régulation s’imposent à  nous.

Premièrement, la révision de la loi du 31 décembre 1975 relative à  la sous-traitance. A l’instar des législations allemande et espagnole, il faudrait limiter la chaîne de sous-traitants à  3 échelons maximum.

Deuxièmement, le renforcement au niveau européen de la coordination des agents de contrôle au moyen de bureaux de liaison. En effet, seul un contrôle poussé dans les pays d’origine est susceptible de détecter les entreprises  » coquilles vides  » ou simples « boîtes aux lettres  » et les systèmes de double contrat de travail et de bulletin de salaire. Seul un tel dispositif peut permettre aux Etats de vérifier la réalité du détachement. Et de s’assurer que l’entreprise qui détache ses salariés exerce réellement une activité substantielle dans le pays o๠elle est affiliée.

Troisièmement, étendre le principe de responsabilité conjointe et solidaire obligatoire au sein de l’ensemble de la chaîne des donneurs d’ordre et des sous-traitants de tous les secteurs d’activités (et non à  la seule filière de la construction). Un tel mécanisme permettra de tenir pour responsable le donneur d’ordre pour non respect par son sous-traitant des règles en matière de détachement. Ainsi, il pourra refuser des offres anormalement basses qui enfreignent la législation sociale et environnementale.

Quatrièmement, à  l’exemple de la France, l’instauration progressive d’un salaire minimum à  l’échelle communautaire. Dans cette perspective, le président de la République française et la chancelière allemande ont cosigné le 30 mai 2013, un texte en ce sens. Il devra être soumis à  la discussion des 28 Etats membres.

Au final, seule la combinaison de tous ces outils peuvent permettre de combattre le concurrence déloyale et le nivellement des salaires par le bas.

Auteur/autrice : perspektives

Didier Levreau, créateur en 2010 du site Perspektives, 10 ans d'existence à ce jour