Eclatement de l’université des Antilles la Guyane se sentait « maltraitée »

La crise de l’université Antilles-Guyane fait émerger les problèmes que rencontre le monde universitaire. Manque de transparence, cooptation, petits arrangements n’appartiennent pas seulement au monde des affaires ou de la politique. En Guyane, un collectif étudiant et l’intersyndicale des personnels de l’université a publié une  » foire aux questions » qui peut servir aussi en Guadeloupe … et ailleurs.

 Les Guyanais ont fait sécession car ils avaient le sentiment d’être  » maltraités » dans le cadre de l’université des Antilles-Guyane. Le pouvoir sur eux-mêmes leur échappait. Vieille question qui traverse les pays marqués par l’histoire coloniale et l’éloignement des centres de décisions, les  » métropoles ». Dans ce cas précis la « métropole » était du côté de Fort-de-France.

« Il est aisé de comprendre, » écrit l’intersyncale guyanaise, « que lorsque nos représentants devaient prendre l’avion pour aller défendre nos intérêts auprès de conseils universitaires constitués de 2/3 d’élus antillais, et siègeant à  2000 kilomètres de la Guyane, ils rencontraient de grandes difficultés à  obtenir gain de cause. »

Les rivalités et les divergences d’intérêts entre la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique,  » rivalités historiques et structurelles » ont conduit à  cet éclatement. Sarra Gaspard porte-parole du « projet université Guadeloupe », qui voudrait bien suivre le même chemin  » autonomiste » que les Guyanais, met en évidence ces rivalités, occultées avant la crise. En citant d’anciens rapports, elle constate que les acteurs de l’Université Antilles-Guyane se préoccupaient plus des problématiques identitaires et statutaires que de stratégie d’enseignement. Beaucoup d’énergies a été gaspillées quand dans le même temps, le nombre d’étudiants échouant en premier cycle augmentait. Et ces échecs réclament que l’institution universitaire réfléchisse, travaille et mette tout en oeuvre pour y remédier.

Au mois d’avril, en Guadeloupe les personnels enseignants et non-enseignants de l’université ont voté en faveur d’une université de plein exercice à  plus de 70 %. Ce vote organisé par une intersyndicale n’est pas reconnu par la présidence de l’université.  » Ce scrutin n’a pas de légitimité, il a été réalisé de manière irrégulière,  » a déclaré Corinne Mence-Caster, présidente de ce qui reste de l’UAG. Que va-t-il advenir ?

Paris pencherait plutôt pour le maintien de la Guadeloupe et de la Martinique dans un ensemble universitaire réunissant les deux régions. Mais rien n’est complétement joué dans la mesure o๠les Guadeloupéens veulent se détacher des Martiniquais.  » Une université de plein exercice en Guadeloupe est la solution, » explique dans son exposé Sarra Gaspard, rien ne nous empêchera après de travailler en confédération, en partenariat avec les autres universités. »

Une vraie autonomie en somme, pour mieux créer des liens ensuite, en traitant d’égal à  égal. C’est le choix clair des universitaires guyanais que semblent vouloir suivre ceux de la Guadeloupe.

Le contexte guyanais : les raisons de la rupture

L’Intersyndicale et le mouvement universitaire guyanais ont publié sur leur site un questions/réponses qui donne un éclairage sur la situation de l’université en Guyane, les raisons de la sécession et les enjeux. Extraits.

QUI COMPOSE L’INTERSYNDICALE ?

L’intersyndicale est constituée de quatre syndicats et d’un collectif étudiant. Trois de ces syndicats sont rattachés à  des syndicats et à  des fédérations nationale : le SNESUP qui fait partie de la FSU , le SNTPES et Sup-Recherche qui font partie de l’UNSA. Un syndicat est rattaché à 

une fédération guyanaise : le STEG qui fait partie de l’UTG.

Chaque syndicat est constitué d’un bureau et d’adhérents. Les sections syndicales se réunissent régulièrement afin que les adhérents puissent décider de l’action du syndicat. Les bureaux des syndicats coordonnent cette action. Au-delà  des personnes syndiquées, de nombreux membres de la communauté universitaire soutiennent l’action de l’ICE. Par exemple, le 21 mars, 52 enseignants et personnels administratifs ont signé la pétition proposée par l’ICE, soit une majorité des agents du Pôle. En comparaison, le  » Cercle des universitaires démocrates « , qui publie des communiqués hostiles à  l’ICE n’a jamais pu faire état de la moindre signature.

EXISTE-T-IL UNE LISTE NOIRE DE L’INTERSYNDICALE?

Non. Cette expression a été utilisée par un journaliste de Guyane 1ère suite au refus de l’ICE de voir deux universitaires nommés unilatéralement par la présidente de l’UAG siéger au conseil d’école de l’ESPE.

En réalité, lors du mouvement de grève d’octobre-novembre 2013, l’ICE a mis en cause quatre dirigeants de l’université au sujet de la façon dont ils ont exercé les responsabilités qui leur ont été confiées. Les syndicats leur ont reproché d’avoir pratiqué un exercice partial et clientéliste du

pouvoir, d’avoir détourné les ressources de l’université au profit de leur carrière ou de celles de leurs proches et d’avoir exercé une politique de répression – harcèlement vis-à -vis de leurs opposants. Tout ceci a eu pour conséquence une dégradation très grave de la qualité de l’enseignement dispensé sur le pôle Guyane. Dénoncer ce type de dérives de la part de dirigeants est le rôle des syndicats.

L’INTERSYNDICALE VEUT-ELLE COUPER DES TêTES ?

Non. Cet  » élément de langage  » de la Présidente de l’UAG défendant ses troupes a été repris sans aucun discernement par nombre de journalistes. L’intersyndicale demande simplement à  ce que les ex-dirigeants mis en cause dans l’exercice de leur responsabilité (voir question précédente) se contentent dans un premier temps d’exercer leur merveilleux métier, celui d’enseignant ou d’enseignant-chercheur. Il y a tant à  faire dans ce domaine en Guyane. Pourquoi vouloir absolument exercer le pouvoir ? Par ailleurs, il y a environ 60 enseignants et enseignantschercheurs sur le Pôle Guyane, pourquoi la Présidente de l’UAG s’obstine-t-elle à  vouloir placer 5 ou 6 personnes, toujours les mêmes, à  tous les échelons ? Nous sommes partisans d’une répartition plus juste des responsabilités.

EST-IL VRAI UE CHRISTIANE TAUBIRA A SIGNé LE PROTOCOLE D’ACCORD DU 11 NOVEMBRE ?

Non. C’est un des nombreux mensonges contenus dans les communiqués du Cercle des Universitaires Démocrates (CUD). Il suffit pour s’en assurer de consulter le protocole en ligne sur le site de Guyane 1ère.

Conclusion : le CUD ment de façon éhontée. Envoyer des communiqués anonymes bourrés de mensonges, est-ce une attitude digne d’un universitaire ?

L’INTERSYNDICALE EST-ELLE CONTRE LES éLECTIONS ( ET DONC CONTRE LA DéMOCRATIE) ?

Non. L’intersyndicale veut que les universitaires du Pôle Guyane se réapproprient la démocratie universitaire. Cela veut dire, par exemple, leur permettre de choisir comme cela se doit leurs représentants sans ajouter sur leurs listes électorales des personnes qui ne connaissent pas les méandres tortueux du monde universitaire et ses problématiques et qui sont susceptibles d’être manipulés. Avant la grève, des dizaines de vacataires étaient ainsi ajoutés sur les listes électorales en fonction des pratiques clientélistes de certains dirigeants

En mars 2014, la présidente de l’UAG a voulu nous imposer des élections à  l’IESG. Mais l’ambiguïté des actuels statuts de l’IESG peut conduire à  faire voter les agents d’organismes et laboratoires de recherche dont une liste est annexée aux statuts. Cette disposition, qui n’a jamais été appliquée, conduirait à  faire voter dans le collège de maîtres de conférence des dizaines de chercheurs qui n’enseignent pas à  l’IESG et ne connaissent pas les problèmes de cet institut. Du côté personnels administratifs, les personnels de ces organismes qui voteraient seraient quasiment trois fois plus nombreux que les personnels de l’IESG. Ces collègues des organismes de recherche, pour lesquels nous avons par ailleurs le plus grand respect, n’ont pas à  venir choisir nos représentants à  notre place. D’autant que les agents de l’IESG ne votent pas en retour dans ces organismes. C’est pourquoi l’ICE refuse que des élections aient lieu à  l’IESG sans révision des statuts.

L’UNIVERSITé DE GUYANE EST-ELLE VIABLE SUR LE PLAN FINANCIER COMPTE-TENU DU NOMBRE RESTREINT DE SES ETUDIANTS ?

 » Le nombre d’étudiants de l’UAG stagne « , entend-on depuis de nombreuses années. Or, en Guyane le nombre d’étudiants (2600 en 2012-2013) a connu une augmentation sensible de 18% (par rapport à  2011-2012), ce qui n’est que la confirmation d’une augmentation constante au cours des 15 dernières années.

 » Il y a 3 fois plus d’étudiants sur le pôle Guadeloupe que sur le pôle Guyane et 2 fois plus d’étudiants sur le pôle Martinique que sur le pôle Guyane « . Non, les rapports exacts sont les suivants : il y a 2,5 fois plus d’étudiants sur le pôle Guadeloupe que sur le pôle Guyane et 1,8 fois plus d’étudiants sur le pôle Martinique que sur le pôle Guyane.

Dès lors, de quel nombre restreint d’étudiants parle-ton ? Les derniers chiffres (source : observatoire de la vie étudiante, juillet 2013) indiquent 2600 étudiants inscrits sur le pôle Guyane au cours de l’année 2012-2013 (près de 19% de l’ensemble des étudiants de l’UAG). Ces chiffres traduisent la démographie très dynamique dans ce département (entre 1998 et 2013, passage de moins de 700 étudiants à  plus de 2500). Cette évolution, doublée d’une diversification de l’offre de formation (afin de répondre aux énormes besoins de ce vaste territoire), devrait amener à  un effectif de 5000 étudiants en Guyane à  l’horizon 2020. La viabilité de l’Université de Guyane sur le plan financier est tout à  fait possible.

Par ailleurs, des économies substantielles peuvent être générées par la création de cette université de Guyane : une diminution importante des surco ûts liés aux missions (frais de transport Guyane-Antilles et d’hébergement des élus lors des conseils centraux de l’Université).

Et enfin, les ressources financières proviendront de l’Etat, des collectivités et du monde économique pour peu que des partenariats forts soient noués. Un autre aspect important mérite d’être souligné : les revenus générés par la Formation continue, qui est appelée à  se développer.

LA PLUPART DES UNIVERSITéS EN FRANCE METROPOLITAINE SE REGROUPE ET L’UNIVERSITé DE GUYANE SE SéPARE DE L’UAG. N’EST-ELLE PAS A CONTRE-COURANT DE L’HISTOIRE ?

Non. Aucune  » antenne  » universitaire de France métropolitaine n’est située à  2000 kilomètres de son université de rattachement, ce qui est le cas entre la Guyane et les Antilles. Notre territoire est vraiment spécifique et nous avons besoin de développer une offre de formation supérieure qui lui est propre, quand bien même l’ouverture de certaines filières n’arrangerait pas les universitaires des Antilles. Il est aisé de comprendre que lorsque nos représentants doivent prendre l’avion pour aller défendre nos intérêts auprès de conseils constitués de 2/3 d’élus antillais, qui siègent à  2000 kilomètres de la Guyane et qui n’ont pour beaucoup d’entre eux qu’une idée très vague de nos problèmes, ils peuvent rencontrer de grandes difficultés à  obtenir gain de cause sur les dossiers guyanais. Et encore faudrait-il que ces représentants respectent les mandats que leur ont confiés leurs électeurs, ce qui n’a pas toujours été le cas ces dernières années. Il sera plus facile, lorsque les conseils se tiendront en Guyane et seront composés de membres basés en Guyane, de sensibiliser les élus à  un problème et de s’assurer qu’ils défendent bien ce qu’ils se sont engagés à  défendre lors des campagnes électorales.

L’UNIVERSITé DE GUYANE NE VA-T-ELLE PAS êTRE UNE UNIVERSITé AU RABAIS, O๠SERNT PRIVILéGIéS LES RECRUTEMENTS « LOCAUX » AU DéTRIMENT DE LA QUALITé ?

Non. L’université au rabais et les recrutements  » locaux  » organisés selon un système clientéliste, c’est justement ce contre quoi s’est élevé le mouvement universitaire guyanais. Avoir une véritable université en Guyane avec de véritables enseignants-chercheurs titulaires, c’est l’assurance que ceux-ci seront recrutés par concours à  la suite d’une sélection rigoureuse (être titulaire du doctorat, être qualifié aux fonctions de maître de conférences par le conseil national des universités, instance nationale).

Quelle que soit l’origine des personnes recrutées, elles seront choisies par un  » comité de sélection  » composé pour moitié au moins d’enseignants-chercheurs extérieurs à  l’université qui recrute, ce qui garantit une certaine impartialité. Ne nous voilons pas la face : toutes les universités de France sont concernées par le  » localisme  » dans les recrutements (voir par exemple ce débat sur le site La vie des idées ( www.laviedesidees.fr/Le-localisme-universitaire).

Il y a généralement consensus pour distinguer un  » bon  » localisme et un  » mauvais  » localisme. Le  » bon  » localisme consiste, à  dossier équivalent, à  privilégier le candidat originaire de l’université de Guyane ou du territoire guyanais qui souhaite s’investir dans le développement de l’université. Le  » mauvais  » localisme consiste à  privilégier un candidat avec un dossier réellement moins bon voire médiocre sous prétexte que c’est un ami et un allié, qu’il nous a rendu des services et qu’on lui renvoie l’ascenseur, le tout au détriment de la qualité des enseignements et de la recherche, voire même de la cohérence de l’offre de formation. Ce mauvais localisme était la spécialité avérée de l’ancienne gouvernance. Or, les étudiants guyanais méritent d’avoir en face d’eux les meilleurs enseignants. L’intersyndicale veillera donc à  ce que les recrutements se fassent dans les règles de la déontologie universitaire.

Mais attention au cliché sous-jacents à  cette question ! Qui dit recrutement d’une personne originaire de Guyane ne dit pas forcément recrutement médiocre ! La jeunesse de Guyane n’est pas moins douée que celle de n’importe quel autre territoire. Et si jusqu’à  aujourd’hui, peu de jeunes guyanais ont pu poursuivre leur parcours jusqu’au doctorat, c’est à  cause de la faiblesse des moyens dont nous avons toujours été dotés au sein de l’UAG. Si la qualité de notre offre universitaire augmente, il y aura de plus en plus de jeunes de Guyane préparés à  se présenter aux concours de recrutements des enseignants-chercheurs.

( Questions/réponses rédigé par l’intersyndicale et le collectif étudiant)

Auteur/autrice : perspektives

Didier Levreau, créateur en 2010 du site Perspektives, 10 ans d'existence à ce jour