Contre l’émiettement des pouvoirs en Guadeloupe plaidoyer pour une assemblée unique

Pour ou contre une assemblée unique en Guadeloupe qui mettrait fin à  l’empilement des pouvoirs et à  la dilution des responsabilités politiques. Nous mettons en ligne ce texte, mesuré et pédagogue, de Claude Edmond. A lire et commenter.

 A l’image de ses devanciers, l’acte III de la décentralisation porte familièrement les traits troublants d’une réforme territoriale inachevée. A l’évidence, ce projet de texte ne résout en rien la problématique de la surabondance et de l’émiettement des collectivités locales et de l’enchevêtrement de leurs compétences.

L’organisation des territoires français est généralement assimilée à  un mille-feuille qui soulève la légitime question de son efficacité et particulièrement en Guadeloupe qui se singularise par la présence d’une région monodépartementale.

Les motivations d’une Collectivité Unique.

En 2010, le comité pour la réforme des collectivités territoriales présidé par l’ancien premier ministre Edouard Balladur a proposé l’instauration d’une collectivité unique dans les DOM. En effet, la partition inaboutie des prérogatives entre le département et la région freine l’action publique et démunie son efficacité. Avec un budget unique, une seule collectivité pourrait mieux équilibrer ses efforts sur le territoire et se lancer dans des investissements plus importants en matière de transport, de santé ou de développement économique. Par ailleurs, la fusion des deux assemblées entraînerait des économies d’échelle et donc des moyens financiers supplémentaires nés de la suppression des doublons d’emplois, de la diminution du nombre d’élus, de la réduction des frais de structures, d’infrastructures et des dépenses de gestion courante (communication, parc automobiles etc.)

LA RECULADE DU PROJET DE DECENTRALISATION III . Qui a dit :  » lorsque tout le monde se mêle de tout, personne n’est responsable de rien. Y a-t-il encore quelqu’un pour penser qu’il n’y a rien a changé ? « . Je vous le donne en mille. Nicolas Sarkozy, ancien président de la République le 7 janvier 2009 lors de ses voeux aux parlementaires, représentants du parlement européen et au conseil de Paris. Le projet de texte réintroduit la clause générale de compétence du département et de la région, encadrée par les articles 73 à  78 de la loi n°2010 -1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales.

En effet, à  compter de 2015, leurs prérogatives devraient être exclusivement limitées à  celles que leur attribue la loi : c’est le principe de spécialité. Ainsi, seules les communes conservaient le bénéfice de la clause générale de compétence. Ce retour en arrière maintient les enchevêtrements des différents échelons territoriaux, la confusion des compétences notamment en matière fiscale qui conduit à  l’irresponsabilité sinon à  la dilution de responsabilité des différents acteurs politiques locaux. L’acte III ne règle donc pas le problème d’efficience. Car le partage de compétences ralentit les procédures et alourdit les co ûts de transaction du projet local envisagé parfois surdimensionné et pas toujours indispensable. L’exemple de l’abattoir public de Gourbeyre est assez caractéristique de la capacité de blocage voire de nuisance d’élus porteurs d’intérêts politiques forts divergents (Cour des comptes. Rapport public annuel 2013 pp. 575-602). Par ailleurs, la politique du logement qui mobilise pas moins de cinq échelons, est génératrice de confusion d’attributions de chacun. Le comble. Le projet de texte transfère la définition du plan local d’urbanisme (PLU) de la commune à  la sphère intercommunale. Toutefois, la commune conserve l’attribution du permis de construire. Ce transfert incomplet de compétence entretient le désordre institutionnel sinon l’incohérence décisionnelle. Parallèlement, les conseillers communautaires ne seront élus d’ici mars 2014 qu’à  l’échelle communale. Cette situation risque de transformer le PLU intercommunal en une addition de PLU communaux. De surcroît, les effectifs des structures intercommunales augmentent sans que les communes membres diminuent les leurs. Au final, entre financements croisés et compétences partagées, le pouvoir d’agir devient multiple et opaque.

UN CHOIX DE RAISON. En rassemblant des attributions souvent connexes et complémentaires, nous augmentons la cohérence et la performance d’une action publique moins dispendieuse. L’objectif est de réaliser des économies de fonctionnement, éviter la concurrence entre les collectivités, simplifier les prises de décision et les circuits administratifs, garantir plus de simplicité, de clarté et de lisibilité pour nos concitoyens, de renforcer le poids politique de la collectivité au moment o๠la compétitivité avec la Caraïbe est devenu un enjeu majeur. Il ne s’agit pas simplement de simplifier et de fusionner entre eux des échelons administratifs, mais de penser une organisation plus pertinente et efficiente qui nous permet de nous projeter dans un avenir tributaire d’un contexte budgétaire de plus en plus contraint. Il s’agit non seulement de préserver nos capacités d’intervention, mais d’étendre l’offre et d’améliorer la qualité du service public dispensée aux administrés. Au final, il nous revient d’unir nos compétences, mutualiser nos moyens et de rationaliser nos interventions.

LE DROIT DE COMPENSATION. La réforme constitutionnelle n°2003-276 du 28 mars 2003 relative à  l’organisation décentralisée de la République, s’est attachée à  garantir aux collectivités locales le droit à  compensation. Ainsi,  » tout transfert de compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à  celles qui étaient consacrées à  leur exercice  » (article 72-2 al. 4 Constitution). Toutefois, cette garantie ne recouvre en rien le risque de déséquilibre dans le futur. Autrement dit, il ne revient pas à  l’Etat de compenser les charges résultant d’un éventuel développement du domaine transféré dans les années suivantes (Conseil d’Etat n° 342072 du 29 octobre 2010 Département de la Haute Garonne).

Les garde-fous à  la Collectivité Unique.

Rappelons qu’avant la transformation en mars 1983 de la région sous la forme d’établissement public en collectivité territoriale, la Guadeloupe était administrée par une collectivité unique : le conseil général. Visiblement, cette architecture administrative n’a pas été la nourricière d’un quelconque apprenti dictateur. Par ailleurs, l’assemblée délibérante est souveraine pour voter ou non tout projet de délibération et de déléguer et retirer ses propres pouvoirs à  l’exécutif (communes de Basse-Terre en 2006 ou du Lamentin en 2012). En outre, l’exécutif est tenu de convoquer sur demande du tiers des élus (commune du Lamentin en 2012), l’assemblée délibérante dans un délai de 30 jours. Ce dispositif pourrait être complété par l’institution d’une motion de censure signé par au moins un tiers des élus. Son adoption par la moitié des membres de l’assemblée délibérante entraînerait la démission de droit du président de ses fonctions exécutives (proposition de loi n° 617-16 janvier 2013-assemblée nationale).

L’ORGANISATION DE LA GOUVERNANCE : UN EXECUTIF REGIONAL. La loi ordinaire n°2011-884 du 27 juillet 2011 qui érige la Martinique en collectivité unique, institue un conseil exécutif de 9 membres composé du président, de vice-présidents et de conseillers. Il se distingue de l’assemblée délibérante dotée d’un président pour diriger ses travaux. Toutefois, son ordre du jour est fixé en priorité par le conseil exécutif élu par ladite assemblée au scrutin majoritaire de liste. Il peut être renversé par l’adoption d’une motion de défiance constructive déposée par au moins un 1/3 des conseillers de l’assemblée à  la majorité des 3/5. En outre, l’appartenance au conseil exécutif est incompatible avec le mandat de conseiller à  l’assemblée. Un système de collégialité qui s’inspire du schéma institutionnel de la collectivité territoriale de Corse prévu par la loi n°91-428 du 13 mai 1991.

LE CONTROLE DES ACTES Le préfet exerce un contrôle a postiori sur les actes de l’assemblée délibérante et de l’exécutif local. Eventuellement, il peut déférer au tribunal administratif les délibérations et arrêtés qu’il estime contraires à  la légalité dans les 2 mois suivant leur transmission. Par ailleurs, le préfet peut assortir son recours d’une demande de suspension de l’acte dans un délai de 15 jours. De surcroît, un  » contrôle juridictionnel spécifique  » est exercé sur les actes des collectivités d’outre mer relevant du domaine de la loi. Ainsi, les lois du pays de l’assemblée délibérante de la Polynésie française (Saint-Martin et Saint-Barthelémy) relèvent directement du conseil d’Etat (article 74 Constitution). En Nouvelle-Calédonie, les lois du pays sont soumises à  l’instar des lois nationales, à  l’avis du conseil d’Etat et au contrôle du conseil constitutionnel (article 77 Constitution). Parallèlement, l’exécutif (maire) est tenu de convoquer sur demande motivée du préfet, le conseil (municipal) dans un délai maximal de 30 jours. En cas d’urgence, le représentant de l’Etat peut abréger ledit délai (article L.2121-9 CGCT).

AVEC L’ACTE III LA REGION RESTE UN NAIN POLITIQUE. L’acte III devrait renforcer le poids de la région en lui transférant de nouvelles compétences en matière de développement économique et de formation. A l’intercommunalité le domaine de l’habitat. Derrière le discours modernisateur, la région reste toujours un nain politique tant sur le plan financier que des pouvoirs qui lui sont dévolus. Par ailleurs,  » aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre  » (article 72 alinéa 5 Constitution). En définitive, pour reprendre le principal motif d’insatisfaction d’Alain Rousset (PS), président de la région Aquitaine et de l’Association des régions de France (ARF), le projet de texte ne répond pas à  la question du  » qui fait quoi  » et du  » qui est responsable de quoi « . Néanmoins, afin de clarifier leur champ d’intervention, le texte réaffirme la notion constitutionnelle de chef de file  » lorsque l’exercice d’une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales « .

AUDACE. En réalité, le pouvoir régional reste encore une illusion. Le contexte budgétaire marqué par le sceau de la rigueur devrait inciter les élus à  mutualiser leurs moyens pour conserver leur marge de manoeuvre. Aujourd’hui, des initiatives plus radicales se font jour. A l’image de la fusion entre les deux départements et la région en Alsace. La Guadeloupe aura-t-elle l’audace de s’en inspirer ?

Auteur/autrice : perspektives

Didier Levreau, créateur en 2010 du site Perspektives, 10 ans d'existence à ce jour