Voici la lettre que le collectif a adressé aux politiques et aux élus: du président de la République, en passant par les ministres et les maires de Guadeloupe (1), tous l’ont reçue. Pour nourrir le débat la revue en ligne Perspektives est ouverte aux propositions de textes offrant sur l’épandage, d’autres arguments que ceux du collectif La demande de dérogation à l’interdiction de l’épandage aérien déposée par la Sica LPG(LPde G) le 18 janvier 2013 à la Préfecture de Guadeloupe est dans la droite ligne d’une lutte constante, mais malheureusement sans espoir, menée depuis quarante ans, contre les cercosporioses jaune, et tout récemment noire, des bananiers produisant la variété d’exportation » CAVENDISH « . Et cela à l’heure o๠le gouvernement se dit prêt à interdire définitivement l’épandage aérien (Conférence environnementale des 14 et 15 septembre 2012 : Chantiers prioritaires, méthode et calendrier, paragraphe 21).
Si les planteurs ont jusqu’à présent réussi à maîtriser la cercosporiose jaune, au prix de multiples épandages aériens, et en utilisant abondamment comme adjuvant une huile paraffinique (banole) bien loin d’être inoffensive, il n’en va pas de même avec la noire apparue en Guadeloupe début 2012 et bien plus redoutable. Cette nouvelle maladie, à laquelle est très sensible la variété Cavendish, demande en effet plus d’interventions d’épandage de fongicides, ce qui est actuellement loin d’être possible, compte tenu du » panel » de produits phytopharmaceutiques autorisés disponibles. De plus, le banole, jusqu’à nouvel ordre, n’est plus autorisé et l’utilisation de l’eau comme diluant des fongicides est sans conteste bien loin d’être aussi efficace, et impose d’augmenter encore le nombre d’interventions.
Or les seuls fongicides actuellement autorisés avec l’eau sont le BION 50 WG, le TILT 250 et le CONSIST (le SICO a été évalué par l’ANSES uniquement avec comme adjuvants 100% huile ou 50% huile/50% eau, ce qui ne l’autorise pas à être utilisé avec de l’eau uniquement), lesquels ne peuvent totaliser que 11 épandages annuels. A peine suffisants contre la cercosporiose jaune, et largement insuffisants contre la noire.
Il est scandaleux que les planteurs de bananes n’osent avouer que ces restrictions les obligeront à recourir à des traitements terrestres supplémentaires. Peu leur importe de polluer plus en répandant plus de produits sur les sols ! Que disent à ce sujet les responsables sensés veiller sur la protection de nos populations ?
Le LPG qui ne se souciait guère des principes constitutionnels de protection de la santé publique et de l’environnement, reconnaît soudain la dangerosité des produits qu’ils déversent, depuis le jugement du tribunal administrative interdisant l’épandage aérien suite à une plainte déposée par un groupe d’associations soucieux de la santé de la population et de la protection de la flore comme de la faune. Mais il introduit une nouvelle demande de dérogation en s’appuyant sur des avis favorable de l’ANSES, l’agence française chargée de délivrer ces avis, après évaluation des produits. Or, sur ces derniers, seule la toxicité des imidazolés (propiconazole et difénoconazole) est évaluée. Le SICO (en cas de traitements terrestres) contient certes 23% de difénoconazole mais aussi plus de 60% d’hydrocarbures benzéniques alors que le benzène est reconnu par l’Etat comme pourvoyeurs de cancers du sang chez les travailleurs le manipulant.
Il n’est pas admissible que cette agence ne tienne compte que des données fournies par les industriels, pratique qui laisse planer un fort doute légitime sur l’impartialité de ses analyses. De plus, maintes manifestations toxiques de substances chimiques, et notamment les effets des faibles concentrations à long terme et les effets cocktails sont ignorés. A l’exception des médicaments, la toxicité des substances chimiques pour les humains n’a donc jamais été systématiquement évaluée (On se contente en général d’essais sur des animaux de laboratoire). Dans ce contexte, le principe de précaution inscrit dans la constitution en février 2005 est bafoué.
En termes de dangerosité, les fongicides cités sont selon les produits et les sources : carcinogène possible, perturbateur endocrinien suspecté, toxicité à terme aigue pour ‘(foie)et tous très toxiques pour les organismes aquatiques.
Le LPG souligne la nécessité de recourir sans cesse à de nouveaux fongicides pour combattre efficacement les cercosporioses. Ils précisent d’ailleurs dans leur demande : » Produits phytopharmaceutiques utilisés : tous produits évalués et autorisés à être utilisés par voie d’épandage aérienne pour lutter contre les organismes nuisibles susmentionnés « . Comment peut-on délivrer un blanc-seing aux planteurs leur permettant d’utiliser sans préavis toute nouvelle substance mise sur le marché, sachant de plus qu’elles sont souvent encore plus dangereuses que les précédentes ? Ils s’inscrivent ainsi dans une course en avant pour au moins huit ans encore, car la disponibilité de variétés Cavendish résistantes aux cercosporioses ne pourrait s’avérer effective qu’à cet horizon. Le caractère soit disant très exceptionnel de la dérogation risque donc de devenir une norme. Pendant encore combien d’années le LPG devra-il solliciter des dérogations ?
La culture intensive d’exportation de cette variété très fragile, devant répondre à des critères de qualité extrêmement stricts et faisant de plus en plus face à la concurrence internationale au fur et à mesure de l’abaissement programmé des barrières douanières, n’a pu être maintenue jusqu’à présent que grâce aux subventions généreuses du programme POSEI. Elle a ainsi bénéficié entre 2007 et 2011 d’une aide d’un montant annuel moyen de plus de trente millions d’euros, ce qui représente 15 000 euros/ha ou 100 000 euros par emploi direct ou indirect. Cette manne financière a été » détournée » (rapport Cour des Comptes 2011) au détriment des autres activités agricoles qui permettraient d’atteindre une meilleure autonomie alimentaire de la Guadeloupe. Ce schéma d’exportation de produits d’agriculture intensive, d’importation à prix forts des aliments indispensables à la consommation, au détriment du développement de la production locale, est le modèle classique que l’on impose aux pays sous-développés. Guadeloupe en est à moindre échelle une parfaite illustration.
Aux subventions cumulées depuis 2006 (188,67 millions d’euros), il faut ajouter les 64 millions d’euros des plans Chlordécone I et II, suite à la tragédie que tout guadeloupéen connait et qui a conduit, après deux dérogations criminelles accordées pour » épuiser les stocks « , aux conséquences actuelles : augmentation exponentielle des cancers de la prostate, atteinte grave au développement des nourrissons, pollution de la très grande majorité des soles bananières traitées pour 800 ans, interdiction de la pêche mettant sur la paille 130 familles de pêcheurs entre Vieux-Habitants et Goyave etc. Ces subventions n’auraient-elles pas pu être mieux utilisées pour soutenir des alternatives de développement agricole utiles au développement économique de la Guadeloupe, et créatrices d’emploi ? C’est ce que réclame d’ailleurs le Conseil Général de la Guadeloupe qui » demande à l’Etat d’intensifier la recherche en matière de solutions alternatives (plantes résistantes) en mobilisant les fonds accordés à la filière banane dans le cadre de la compensation de la baisse des droits de douane à l’importation « .
Selon les déclarations du Ministre Stéphane Le Foll au récent Salon de l’Agriculture , trouver des alternatives à cette culture intensive , » ça prendra du temps! » . Faut-il comprendre par là que l’usage des pesticides pour lutter contre les cercosporioses s’installera dans la durabilité au risque d’allumer une nouvelle bombe sanitaire à retardement comme pour la Chlordécone dont les conséquences de l’utilisation entre 1972 et 1993 n’ont été officiellement reconnues qu’en 2008 ?
Le Collectif de Vigilance Citoyenne considère au contraire que seule la non reconduction de ces pratiques et logiques qui arrivent à leur terme peut accélérer le processus de recherche de solutions viables. La défense des intérêts économiques et financiers d’une poignée de planteurs ne peut justifier que l’on continue d’aggraver l’état sanitaire des habitants, des sols et des rivières.
Le Collectif de Vigilance Citoyenne n’est pas contre la banane, mais contre des méthodes culturales sans avenir qui obèrent les autres activités agricoles. Il s’oppose aussi au déversement de produits phytosanitaires, sans aucun espoir d’amélioration de la santé des bananiers, sur une terre déjà longuement meurtrie par des pratiques qui n’ont que trop duré.
Le Collectif salue le courage des élus et des organismes de santé qui se sont prononcés pour l’arrêt de l’épandage aérien et appelle à la responsabilité de l’ensemble des décideurs de l’Etat et des collectivités pour que soient engagées d’urgence une réflexion et des actions sur une meilleure utilisation des aides accordées à l’agriculture. Rompre avec la facilité, dépasser les vieilles habitudes, pour imaginer autrement l’avenir de l’agriculture guadeloupéenne et envisager de nouvelles perspectives d’emploi sont les principaux mobiles du combat engagé.
(1) Les destinataires de la lettre ouverte du Collectif vigilance citoyenne : Le Président de la République, François Hollande; le Premier Ministre, Jean-Marc Ayrault; la Ministre des Affaires sociales et de la Santé, Marisol Touraine; le Ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, Stéphane Le Foll; la Ministre de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie, Delphine Batho; le Ministre des Outre-mers, Victorin Lurel; la Préfète de Guadeloupe, Marcelle Pierrot; les députés de Guadeloupe, Eric Jalton, Gabrielle Louis-Carabin, Ary Chalus; les sénateurs de Guadeloupe, Félix Desplan, Jacques Cornano, Jacques Gillot ; la Présidente du Conseil Régional de Guadeloupe, Josette Borel-Lincertin; le Président du Conseil Général de Guadeloupe, Jacques Gillot
les conseillers régionaux
les conseillers généraux
les Maires de Guadeloupe