L’épandage aérien confirmera-t-il la Guadeloupe comme « laboratoire d’une pollution irréversible » ?

Retour sur l’épandage aérien. Jusqu’au 8 mars en Guadeloupe à  la préfecture de Basse Terre et la sous-préfecture de Pointe à  Pitre, il est possible de consulter et de donner un avis sur la nouvelle demande de dérogation déposée par le groupement des producteurs de bananes. Voilà  pourquoi, il faut y aller …

  » Les Antilles françaises constituent un laboratoire à  petite échelle dans un monde durablement pollué oà¹, après avoir acté l’existence d’une pollution irréversible ( la chlordécone) il s’agit maintenant de mieux la connaître, de la circonscrire … mais aussi de vivre avec.  »

Cette phrase est extraire du Bulletin épidémiologique hebdomadaire publié par l’Institut de veille sanitaire en février 2011. Vous pouvez le trouver sur internet. Mais attention, lire ce bulletin, c’est prendre le risque ensuite, de soupçonner du pire tous les produits cultivés en Martinique et Guadeloupe . Il n’est pas drôle en effet de vivre dans un « laboratoire des pollutions irréversibles ». Les professionnels du tourisme devraient s’en inquiéter. Si le message passe, la  » destination guadeloupe » risque de perdre son charme. Les touristes européens ont abandonné la destination Tunisie, Egypte pour cause de « Printemps arabe » ; devront -ils abandonner celle des Antilles françaises pour cause de sols et d’eaux polluées. On ne le souhaite évidemment pas.

Un contexte et un passé très sensibles

Si on ne replace pas dans son contexte le débat sur l’épandage aérien qui a lieu actuellement en Guadeloupe, on passe à  côté de la question.

Les mots, « pesticides », « bananes », « dérogations », « planteurs » éveillent ici des souvenirs désagréables, que beaucoup de Guadeloupéens préfèrent d’ailleurs ne pas évoquer. Le déni est une manière d’effacer la réalité. Ce sont des planteurs de bananes martiniquais, de la société Lagarrigue pour ne pas la citer, qui ont fait fabriquer la chlordécone il y a plus de trente ans. Un produit connu pour sa nocivité au même titre que le DDT ou le Lindane depuis les années 1970. Lorsque les risques liés au produit ont enfin été reconnus (au début des années 1990) et qu’il a été été interdit, les planteurs ont fait pression sur le pouvoir politique pour obtenir deux dérogations successives. Pendant trois ans, ils ont continué à  polluer de manière irréversible et en toute connaissance de cause la terre de notre pays. Leur motivation : maintenir le rendement et la rentabilité de leur activité agro-industrielle.

Les mêmes, ou presque, 20 ans après, avec des arguments comparables, ( le préjudice commercial) demandent des dérogations, à  une pratique interdite, pour pulvériser dans l’air des produits à  risques. Ils s’engagent à  protéger  » autant que possible » les Etres humains, la faune, la flore, bref ce qui reste de l’environnement naturel qui fait encore la beauté de la Guadeloupe. Ce n’est pas suffisant.

Dans une lettre adressée aux opposants à  l’épandage aérien, le groupement des producteurs de bananes se plaignent: la cercosporiose progresse, le risque commercial s’aggrave, mais jamais ils ne s’interrogent sur leurs pratiques. Ils écrivent:  » Les critiques portées ici et là  contre l’épandage aérien ne reposent, contrairement à  la pollution liée au chlordécone, sur aucun fondement ». Certes, mais il y a 25 ans des planteurs utilisaient la chlordécone en dissimulant les risques; il y a un an des planteurs utilisaient le Banol en épandage aérien, assurant que c’était sans risque, alors que le produit est interdit d’utilisation sous cette forme, il ne figure d’ailleurs plus dans la nouvelle demande de dérogation.

Bref, le sujet est semé d’emb ûches, d’intérêts contraires, d’arrière-pensées, de non-dits et d’enjeux financiers importants. Plus de 90% de la production de bananes de la Guadeloupe est exportée vers les murisseries de l’hexagone, une sorte de marché fermé, sous contrôle et largement subventionné par des fonds européens. Quel que soit l’enjeu financier, nous pensons que le principe de précaution prévau. La Guadeloupe, comme la Martinique ont dans le passé payé cher – terres et rivières polluées – pour  » l’intérêt supérieur de la banane ». N’est ce pas assez !

Une manne financière: 100 000 euros de subventions par emplois directs ou indirects dans un secteur bananier

Pour compléter ce dossier nous publions un extrait de la pétition contre l’épandage aérien lancée par le Collectif Vigilance Citoyenne.

Après s’être déclaré atterré par la nouvelle demande de dérogation, deux fois annulée par le Tribunal administratif et sans que les planteurs fassent l’appel de ce jugement, le collectif rappelle  » que les produits utilisés sont dangereux pour la santé de la population et de la faune. Ils peuvent générer des cancers, de graves perturbations endocriniennes et sont très toxiques pour les organismes aquatiques. Si certains ont reçu un avis favorable de l’ANSES, on ne peut admettre que cette agence, qui restreint son étude aux effets d’un seul produit à  la fois, se contente de juger le risque comme  » acceptable », sans en particulier tenir compte des effets « cocktail » de l’accumulation de différents produits différents dans l’organisme vivant, ni des effets des faibles concentrations à  long terme, ni des conditions climatiques des zones tropicales. On ne peut d’autre part admettre que cette agence ne tienne compte que des données fournies par les industriels, pratique qui laisse planer un fort doute légitime sur l’impartalité de ces analyses. Dans ce contexte, le principe de précaution inscrit dans la constitution en février 2005 est bafoué. »

Par ailleur, le collectif insiste sur le fait que  » l’exploitation exclusive de la variété  » Cavendish », très fragile aux maladies, fait de plus en plus face à  la concurrence internationale au fur et à  mesure de l’abaissement programmé des barrières douanières. Cette culture n’a pu être maintenu jusqu’à  présent que grâce aux subventions généreuses du programme POSEI. Elle a ainsi bénéficié entre 2007 et 2011 d’une aide d’un montant annuel moyen de plus de trente millions d’Euros, ce qui représente 15 000 euros l’hectare ou 100 000 euros par emploi direct ou indirect. Cette manne financière a été détournée au détriment des autres activités agricoles qui permettraient d’atteindre une meilleure autonomie alimentaire en Guadeloupe. »

Les politiques guadeloupéens s’intéressent-ils à  la question ?

Harry Durimel, conseiller régional guadeloupéen, un des rares élus à  s’être vraiment engagé dans la bataille contre la pollution des sols, a adressé une lettre à  ses collègues de la Région pour les sensibiliser à  la question de l’épandage, des pesticides et de l’empoisonnement des terres agricoles..

Il leur écrit notamment :  » A l’heure o๠les lobbies bananiers s’organisent et s’entourent d’onéreux conseils parisiens, grâce à  l’aide financière publique dont ils bénéficient, nous ne pouvons laisser aux associations de défense de l’environnement le soin d’exprimer, seuls, le questionnnement et les angoisses légitimes de la population guadeloupéenne quant à  l’utilisation des pesticides dans l’agriculture et la contamination avérée de la chaîne alimentaire. ( eau, igname,patates, carottes, ouassous, burgots etc…) ».

Plus loin le conseiller régional insiste sur les objectifs du plan POSEI qui soutient par des financements européens l’agriculture en Martinique et Guadeloupe.

 » Pour répondre aux particularités de ces régions les objectifs Posei étaient d’améliorer l’auto-approvisionnement de la population locale par l’augmentation de la production et la substitution aux importations et de diversifier les filières organisées et structurées, notamment par une gestion collective de la commercialisation sur le plan local ou pour l’exportation ( …) ces objectifs mettaient clairement l’accent, en plus du maintien des filières exportatrices, sur les filières de diversification locales et sur l’auto-approvisionnement en produits transformés et de qualité … »

Des objectifs qui, lorsqu’on observent la répartition des subventions, notamment en faveur de l’agriculture biologique ne sont pas respectés. Comment expliquer sinon par la pression des lobbies que l’agriculture biologique ne représente que 0,2% des terres agricoles en Guadeloupe (0,7% à  la Martinique, 0,5% à  la Réunion, 10,5% en Guyane et 2,5% sur l’ensemble du territoire national.)

Cela revient à  poser deux questions: quel pays et quelle agriculture voulons-nous ? Quel pays et quelle agriculture nous fait-on ?

Auteur/autrice : perspektives

Didier Levreau, créateur en 2010 du site Perspektives, 10 ans d'existence à ce jour