Le syndrome de Stockhom (1) appliqué à  l’histoire de l’esclavage

Le texte que nous publions pose une question fondamentale et iconoclaste : pourquoi la chrétienté qui a eu une immense responsabilité dans l’organisation de l’esclavage connait-elle tant de succés auprès des descendants de ceux qui ont subit la Traite. Derrière le pseudo Oxymore: un Guadeloupéen qui s’interroge Nous vivons en ce début d’année 2013, un évènement qui veut que pour la première fois en France une descendante d’esclave attaque l’Etat français pour crime contre l’humanité . De façon surprenante, cette initiative est la seule à  ce jour et le souhait des protagonistes est que l’initiative de cette femme soit la première d’une longue série.

Le but de cet article est de dirimer ( faire le tour d’une question ou du moins en préciser certains aspects) cette notion de Crime contre l’humanité et de ses responsabilités sur une période de quatre siècles ou singulièrement à  son commencement, la notion même d’humanité n’était pas disponible au niveau de la noosphère(la noosphère est aux idées, aux concepts ce que la vie est à  la biosphère).

De façon fort logique on aura compris que si le but est de dirimer cette question des responsabilités de crime contre l’humanité, c’est que nous ne sommes pas tout à  fait d’accord avec la démarche de Mme Rosita Destival.

Par respect pour cette dame et pour les lecteurs de cet article, nous exposerons succinctement nos réticences à  abonder trop directement dans le sens de Mme R. Destival

L’Europe, l’Afrique … des responsabilités multiples, la chrétienté, « caution » religieuse unique
– Avant tout, il nous semble qu’il y a une forme de justification de la traite négrière à  demander des réparations pécuniaires. En effet, nous pensons que la Traite Négrière a été motivée principalement par l’appât du gain de certains, or demander réparation au moyen de ce même gain, revient quelque part à  sanctifier les motivations initiales puisque ce sont elles qui seront aussi le remède là  ou pendant quatre siècles elles ont été le nerf de la souffrance. On ne soigne pas le mal par le mal.

– Ensuite, Mme DESTIVAL accompagnée du CRAN attaque l’Etat Français alors que pour nous, quand les caravelles de C. Colomb arrivent aux Antilles, elles n’ont pas sur leurs voiles un drapeau bleu, blanc rouge. Elles ont une croix et le bateau s’appelle Santa Maria. Quand à  l’issue de la Controverse de Valladolid, le prélat du Pape décide de cesser l’esclavage des indiens au motif qu’ils ont probablement une âme et que par contre les populations noires d’Afrique n’en n’ont pas et que l’esclavage sera la meilleure chance pour elles d’acquérir un semblant d’âme et d’être sauvées de la damnation éternelle, nous disons que c’est à  cet endroit que se situe la faute morale, spirituelle et humaine ? Que c’est l’Eglise catholique de Rome qui devrait être attaquée et à  qui il conviendrait de demander réparation.

– Ensuite nous trouvons humiliant pour l’Afrique et les royaumes qui la constituaient avant la colonisation, de la positionner en perpétuelle victime alors que ces royaumes ont activement participé à  la déportation des ressources humaines du continent. C’est d’ailleurs en ce sens que «le 4 Aout 2004, à  Cotonou, l’auteure de la loi du 10 mai 2001, Christiane Taubira-Delanon, fustige, lors d’une session ordinaire de l’Assemblée nationale béninoise, le  » mutisme coupable  » des parlementaires et gouvernants africains face à  la traite et l’esclavage des Noirsi « . Ainsi il nous semble que si l’on parle justice, il faudrait aussi demander réparation à  certains états Africains.

Dans cette première partie nous tenterons de montrer le rôle de l’Eglise dans le commerce triangulaire et nous nous interrogerons sur la vénération que continuent de prodiguer à  cette même église, les populations actuelles des territoires o๠sévissait l’esclavage.

Un des points de départ de la responsabilité de l’église romaine est attesté par l’existence de différents bulles papales. Nous retiendrons particulièrement :

– la  » Dum Diversas  » adressée le 18 Juin 1452 au roi du Portugal ; en provenance du Pape Nicolas V qui concéda au roi d’une façon très générale l’autorisation d’attaquer, de conquérir et de soumettre les sarrasins païens et autres infidèles ennemis du Christ, de s’emparer de leurs biens, de soumettre leur personne en perpétuelle servitude et de transmettre territoires et biens à  ses successeurs.

– La  » Romanus pontifex  » le 8 janvier 1455 qui indique l’intention pastorale qui inspire les bulles : c’est en vue du bien des âmes que le Pape encourage de ces faveurs les princes catholiques qui soumettent par la force les Sarrasins et autres infidèles hostiles à  la religion Chrétienne.

C’est donc avant la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb que le dispositif propice à  une justification de l’esclavage se met en place. Par la suite après la découverte de l’Amérique et la quasi extermination des amérindiens, il y eu une tentative de protéger les indiens qui mourraient en trop grand nombre et qui finit par se retourner contre les noirs. Barthélémy Adokounou, cardinal africain, aujourd’hui pressenti par nous pour être le prochain pape, écrit dans sa thése de doctorat (2) soutenu en 1977 à  l’université de Ratisbonne: : « Paradoxalement, le tournant pris par l’esclavage en Amérique est d û à  un geste d’humanité du dominicain Bartholoméo de Las Casas, qui par commisération pour les Amérindiens qu’on décimait par un travail de plantation trop dur pour leur constitution physique avait suggéré d’importer des Nègres plus endurants, robustes et travailleurs. L’idée fit son chemin. »

Dès lors, l’Afrique, les Amériques et singulièrement les esclaves sont en contact direct avec la religion Chrétienne. Au cours de cette période on invoquera successivement le fait que l’esclavage des nègres était nécessaire pour le salut de leurs âmes ainsi que le préconisaient les bulles pontificales. Selon Alphonse Quenum, le mythe de Cham n’était que très peu évoqué au XVém et XVIém siècles, ce n’est qu’à  partir du XVII, XVIII et surtout XIXém que « les Noirs « ,  » race maudite  » paraissaient à  beaucoup d’auteurs des expressions interchangeables.

Cham et la Cananéenne parenthéses bibliques ou tragiques allégories
Les textes sont connus ( Ge9-20, 9-27). Extraits :

– « Et Noé commença à  être cultivateur et il planta une vigne ;

– Et il but du vin, et il s’enivra et se découvrit au milieu de la tente.

– Et Cham, père de Canaan, vit la nudité de son père, et le rapporta à  ses deux frères, dehors.

– Et Sem et Japheth prirent le manteau et le mirent, les deux, sur leurs épaules et marchèrent en arrière et couvrirent la nudité de leur père ; et leur visage tourné en arrière, ils ne virent pas la nudité de leur père.

– Et Noé se réveilla de son vin et sut ce que lui avait fait son plus jeune fils ; et il dit :

Maudit soit Canaan ! Il sera l’esclave des esclaves de ses frères.

– Et il dit : Béni soit l’à‰ternel, le Dieu de Sem, et que Canaan soit son esclave !

– Que Dieu élargisse Japheth, et qu’il demeure dans les tentes de Sem, et que Canaan soit son

esclave !  »

Tous les exégètes ont été surpris par le fait que ce soit Cham qui voit la nudité de son père et que ce soit Canaan, son fils, qui soit maudit et qui soit aussi considéré comme le père de tous les noirs.

Incontestablement cette malédiction Noachique a beaucoup comptée dans le débat théologique sur la place des noirs au sein de l’esclavage. Elle date de l’ancien testament et à  priori par la suite elle a pu être considérée comme invalidée théologiquement dans une lecture néo-testamentaire de la Bible.

Par contre, il est un passage du NouveauTestament qui nous pose un sérieux problème et cela d’autant plus que ce passage n’est jamais apparu dans les débats théologiques…. Il s’agit du passage avec la Cananéenne dont voici un extrait:

LA CANANEENNE … Mt chap 15 :

– « Et voici, une femme cananéenne de ces contrées-là , sortant, s’écriant, lui disant : Seigneur, Fils de David, aie pitié de moi ; ma fille est cruellement tourmentée d’un démon.

– Et il ne lui répondit mot. Et ses disciples, s’approchant, le prièrent, disant : Renvoie-la, car elle crie après nous.

– Mais lui, répondant, dit : Je ne suis envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israà«l.

– Et elle vint et lui rendit hommage, disant : Seigneur, assiste-moi.

– Et lui, répondant, dit : Il ne convient pas de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens.

– Et elle dit : Oui, Seigneur ; car même les chiens mangent des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres.

– Alors Jésus, répondant, lui dit : O femme, ta foi est grande ; qu’il te soit fait comme tu veux. Et dès cette heure-là  sa fille fut guérie. »

Nous assumons le fait que beaucoup de lecteurs dessilleront les yeux à  la lecture de notre commentaire mais qu’est-il dit en substance ?

Je vous saurais gré de m’accorder l’herméneutique (interprétation des textes religieux) qui suit :

– Nous disposons que dans ce texte cananéenne veut dire descendante de Canaan et donc au travers de certaines lectures bibliques, fait référence directement à  la race noire. Donc cette femme est noire.

– Jusqu’ici et dans tout le reste du Nouveau Testament, Jésus guérit spontanément tout le monde, sans hésiter, il suffit de demander, il rend service. Or pour cette femme, même les disciples lui demandent de la renvoyer. C’est donc bien qu’elle a un aspect qui la disqualifie.

– Comme elle ne semble pas comprendre, Jésus met les choses au clair et lui dit : je ne suis envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israel … et au cas o๠elle n’aurait pas compris, il la traite elle et sa fille « gentiment  » de chiens à  qui l’on jette de la nourriture…

– Or cette femme accepte en s’infériorisant :  » même les chiens mangent les miettes qui tombent de la table des maîtres… ».

Autrement dit, dans le cadre de mon herméneutique je dis la chose suivante. En fait il s’agit d’une parabole ou Jésus-Christ dit aux noirs : je ne suis pas venu pour vous, je ne vous donnerai rien, car il n’est pas juste de prendre ce qui était prévu pour les autres et de vous le donner à  vous. Par contre si vous acceptez de vous contenter des miettes, vous aussi vous pourrez bénéficier des bienfaits que je suis venu disposer sur cette terre…Je conclurai mon herméneutique en disant que au moment o๠Jésus prononce ces paroles cela vaut parabole, mais deux mille ans plus tard lorsque l’on constate le sort de l’Afrique, de parabole, les propos du Christ acquièrent une certaine dimension tragiquement allégorique.

Ainsi maintenant nous pouvons reprendre le vrai débat.

Syndrome de Stockholm sous les tropiques

Comment se fait-il qu’après quatre cents ans de telles souffrances infligées, d’un tel mépris imposé, d’une telle déchéance décrétée, comment se fait-il que ces populations de descendants d’esclaves en soient encore à  adorer ce Dieu qui les a tellement malmenées ? Que l’on aille aux Etats-Unis dans les églises de Gospel, aux Antilles dans toutes les paroisses, en Afrique dans toutes les communautés chrétiennes, que l’on construise une telle cathédrale à  Yamoussoukro (le plus grand édifice religieux de la planète, reproduction de la place Saint-Pierre de Rome, le monument mesure 158m de haut, son co ût a représenté 6 % du budget annuel du pays, elle est aujourd’hui la propriété du Vatican…)

Toutes les obédiences chrétiennes catholiques, protestantes, évangélistes, pentecôtistes, baptistes … Toutes, ferventes admiratrices de notre Seigneur Jésus.

Il y a là  quelque chose qui relève du syndrome de Stockholm.

Réellement, le questionnement est là , qu’est-ce qui nous pousse à  aimer nos tortionnaires à  ce point ?

Les faits sont indiscutables, l’église est coupable, elle-même l’a reconnu mais pourquoi Diable (passez-moi l’expression, je vous prie) l’adorons nous à  ce point ?

– le 13 Aout 1985 à  Yaoundé au Cameroun, Jean-Paul II : « Pardon à  nos frères africains qui ont tant souffert de la traite des Noirs « .

– Quatre ans plus tard, c’est la commission pontificale « Justice et Paix « qui dit une vérité qui faisait mal à  entendre :  » On réduisit en esclavage pour profiter du travail des « Indiens » puis des Noirs, et l’on se mit à  élaborer une théorie raciste pour se justifier « .

– Le 26 Janvier 1990 Jean-Paul II déclara à  Praia au Cap Vert :  » Votre terre fut malheureusement connue pour l’abominable commerce de personnes humaines, aux temps de l’esclavage  »

– Le 22 Février 1992 Jean-Paul II déclare à  l’ile de Gorée :  » Dans ce sanctuaire africain de la douleur noire, nous implorons le pardon du ciel  »

– Le 4 mars 1992 à  Rome : « Nous voulons reconnaitre les torts qui, au cours d’une longue période, ont été causés aux Africains par le honteux commerce des esclaves  » Ces témoignages sont là  pour attester que l’église a fait acte de contrition ( regrets profonds en vue d’obtenir l’absolution).

Bien entendu il ne nous a pas échappé qu’en ce mois de Février 2013, la Papauté chancelle sur la santé trop frêle de Benoît XVI, aussi serait-il d’ailleurs assez singulier que dans cette perspective absolutioniste (nonobstant les qualités de l’homme) qu’elle n’élise un Pape Africain. Barthélémy ADOKOUNOU (déjà  cité plus haut) nous paraît être un bon candidat (pour bien des raisons logiques et théologiques). Toutefois dans cette perspective, nous ajouterions au syndrome de Stockholm, un syndrome de Lima (déjà  décrit à  la fin de la note du syndrôme de Stockholm à  lire dans la note ci-dessous)

(1) ( NDLR) La définition de ce syndrome puisée dans wikipédia:

 » Le 23 ao ût 1973, un évadé de prison, Jan Erik Olsson, tente de commettre un braquage dans l’agence de la Kreditbanken du quartier de Norrmalmstorg à  Stockholm. Lors de l’intervention des forces de l’ordre, il se retranche dans la banque o๠il prend en otage quatre employés. Il obtient la libération de son compagnon de cellule, Clark Olofsson, qui peut le rejoindre. Six jours de négociation aboutissent finalement à  la libération des otages. Curieusement, ceux-ci s’interposeront entre leurs ravisseurs et les forces de l’ordre. Par la suite, ils refuseront de témoigner à  charge, contribueront à  leur défense et iront leur rendre visite en prison. Une relation amoureuse se développa même entre Jan Erik Olsson et Kristin, l’une des otages. La légende veut même qu’ils se soient mariés par la suite, mais ce fait fut démenti.

Le syndrome de Stockholm désigne la propension des otages partageant longtemps la vie de leurs geôliers à  développer une empathie, voire une sympathie, ou une contagion émotionnelle avec ces derniers. L’expression « syndrome de Stockholm » a été inventée par le psychiatre Nils Bejerot en 1973. Ce comportement paradoxal des victimes de prise d’otage fut décrit pour la première fois en 1978 par le psychiatre américain Frank Ochberg, en relation avec un fait-divers qui eut lieu en cette même ville. Inversement, le syndrome peut s’appliquer aux ravisseurs, qui peuvent être influencés par le point de vue de l’otage. On parle dans ce cas du syndrome de Lima. »

(2) Extrait de « Jalons pour une théologie Africaine « , thèse de doctorat soutenue le 25 mars 1977 par Barthélémy ADOKOUNOU à  l’université de Ratisbonne, sous le patronage du Cardinal RATZINGER).

Dans le château de Barbe Bleue
(A suivre)

Auteur/autrice : perspektives

Didier Levreau, créateur en 2010 du site Perspektives, 10 ans d'existence à ce jour