Insularité et globalisation: en Guadeloupe, les atouts d’un grain de sable sur l’océan

Crise économique et industrielle, bagarres électorales peu convaincantes, avenir incertain, le pessimise doit-il être de rigueur ? Nous pensons qu’il n’y a pas plus de raison de l’être aujourd’hui qu’il y a 10 ans, 20 ans ou un demi siècle. Alors comment un grain de sable sur l’océan peut-il envisager l’avenir. Nous avons posé la question à  Alain Plaisir, président du Cippa, jeune parti politique qui milite pour un projet alternatif crédible. Perspektives : La Guadeloupe, petit territoire, 450 000 habitants, parmi des centaines de millions. Département américain d’une métropole européenne, un fort chômage, une forte dépendance aux importations. D’après vous quels sont les atouts et les handicaps liés à  la taille et à  l’insularité ?


Alain Plaisir Dans le système départemental qui intègre la Guadeloupe comme région européenne, une île comme la Guadeloupe a peu de chance d’améliorer sa situation et d’échapper à  la dépendance extérieure. La mondialisation capitaliste condamne les pays qui n’ont pas, ce que les économistes libéraux appellent, des avantages comparatifs (2) . Et il faut bien reconnaitre que dans le contexte mondial de 2011, la Guadeloupe a peu d’avantages comparatifs. Le soleil, les plages, la mer, ne suffisent pas.

Nous voyons bien que le monde a changé. La Guadeloupe ne peut plus exporter son sucre, ses bananes et un peu ses melons vers la France comme elle le faisait avant 1993. Le temps est fini ou l’île vendait 150 000 tonnes de bananes et 187 000 tonnes de sucre sur le marché français qui lui réservait avec la Martinique, le marché national. Il n’y a plus de marché national, la libéralisation du commerce mondial, l’intégration européenne dans un marché unique de 27 pays, basé sur le principe de la libre circulation des marchandises, ont changé la donne. Nos échanges extérieurs ne décident plus à  Paris, mais à  Bruxelles et sur la scène internationale, lors des négociations de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC)

Alors quels chemins possibles pour dépasser la situation actuelle ?
AP: Bien s ûr on peut imaginer la logique du tout tourisme. Que la Guadeloupe devienne un lieu de transbordement pour les croisiéristes, les touristes d’Europe et d’ailleurs. Un espace destiné aux loisirs, aux vacances. Certains y pensent peut-être, mais ce n’est pas notre choix, ce serait ne pas sortir de la logique coloniale qui marque notre histoire. Nous ne sommes pas contre le tourisme, mais il ne peut pas y avoir que ça en Guadeloupe.

Nous croyons qu’un autre monde est possible. Ce que je vais vous dire pourra sembler utopique, mais à  d’autres époques des événements sont survenus auxquels personne ne croyait quelques temps plus tôt. Je vais prendre l’exemple des congés payés : pensez-vous qu’un ouvrier du début du XXème siècle qui travaillait dix heures par jours pouvait imaginer la baisse des horaires hebdomadaires de travail et les congés payés qui allaient survenir trente ans plus tard. C’est arrivé parce que quelques uns y ont cru et que des forces se sont mises en mouvement.

Je pense que le monde dans lequel nous vivons est profondément injuste, ce qui s’est passé ces derniers mois, en Espagne, en Israà«l, en Grande Bretagne, au Chili dans les pays du sud de la Méditerranée, ce qui s’est passé en 2009 en Guadeloupe sont le signe d’une exaspération grandissante des peuples. Il devra en sortir quelque chose de nouveau.

Donc la globalisation telle qu’elle fonctionne est non seulement injuste, mais inefficace. La crise du système capitaliste avec les krachs boursiers, la montée du chômage et la prolétarisation des classes moyennes un peu partout dans le monde, le montre. Au niveau mondial, il faut revoir les termes de l’échange. Il n’y a aucune fatalité à  ce commerce international actuel, qui provoque des excédents pour certains pays et des déficits pour d’autres. La Charte de La Havane (4) propose une approche qui se situe aux antipodes des conceptions actuelles du commerce international. Pour elle ce commerce ne peut avoir qu’un seul objet : le développement de chaque pays considéré individuellement, dans un cadre de relations internationales fondées sur la coopération et non sur la concurrence.

La Conférence de La Havane en 1947, sous l’égide des Nations-Unis a tenté de traiter une question essentielle : l’articulation entre le commerce et l’emploi.

Le principe le plus important de la Charte de La Havane est celui de l’équilibre de la balance des paiements Il signifie qu’aucun pays ne doit être en situation structurelle d’excédent ou de déficit de sa balance des paiements. Autrement dit, pour simplifier, dans les échanges commerciaux bilatéraux entre pays, c’est la règle  » je t’achète autant que tu m’achètes  » qui doit prévaloir. L’Alternative Bolivarienne (ALBA) qui regroupe plusieurs pays de la Caraïbe et un pays de l’Amérique latine (3 est le premier exemple de ce type de commerce international.

Au niveau de la Guadeloupe, et à  très court terme je vois donc deux pistes: la protection de marché intérieur et l’augmentation de la production agricole, ainsi que le développement des ressources liées à  la mer. Pour cela, il faut une volonté politique pour mettre en place cette alternative. C’est la raison d’être du CIPPA, exprimée dans son projet politique de 2011.

Vous dites protéger le marché intérieur, mais ne faut-il pas commencer par développer une production en direction de ces marchés ?

Cette production n’existant pratiquement pas.

AP : En effet, les deux vont ensemble. L’agriculture locale, la production vivrière ne doivent pas entrer dans la logique du libre-échange. Il faut une soustraction partielle aux lois du marché. Pendant des décennies la Guadeloupe a pratiqué une culture d’exportation (bananes, sucre et maintenant melon) qui a enrichi ceux qui étaient déjà  riches. Les bateaux partaient avec les bananes et revenaient avec des importations massives qui ont coulé l’agriculture vivrière locale et laminé toutes les activités productives. Qui en a profité : importateurs, exportateurs, gros producteurs. Il faut rompre avec cette logique et favoriser la production locale qui crée des richesses sur place. On importe des oeufs, de la viande, des poulets, et même du sucre en Guadeloupe. On importe des ouassous, des bananes jaunes, des crabes, du poisson, des fruits et légumes, on importe des ignames du Costa-Rica, du porc de Bretagne, alors qu’on devrait produire plus sur place. Au total 400 millions de produits agricoles et agro-alimentaires importés, alors que le total de nos exportations ne dépasse pas 150 millions d’euros. Il n’y a plus qu’une seule ferme qui produits des ouassous pourquoi: parce que les ouassous importés sont moins chers dans les grandes surfaces. Un territoire comme la Guadeloupe doit être en mesure de protéger sa production locale par des mesures fiscales et douanières. Les ultras libéraux ne veulent pas entendre parler de protectionnisme, pourtant la plupart des grands pays – USA compris – l’ont pratiqué et le pratiquent encore. Le Japon protège son riz, car il considère que c’est un produit stratégique.

En Guadeloupe aucune filière agricole ne pourra se développer tant qu’elle sera à  la merci d’un importateur qui fera entrer des tonnes d’ignames, des produits de l’aquaculture, de l’élevage, ou autres produits à  des prix défiants toute concurrence. La faiblesse de la productivité liée à  l’étroitesse du marché impose une dose de protectionnisme pour développer une production destinée aux consommateurs Guadeloupéens. C’est pareil pour les industries de transformation, l’artisanat. Alors que veut-on : faire disparaître toute production locale comme c’est la tendance actuelle, faire de nous un pays d’assistés ! Au CIPPA, nous disons qu’il n’y a aucune fatalité au sous développement. Mais que disent les décideurs en place. Production locale, nouveaux rapports avec la France et l’Europe, maitrise du commerce extérieur, ces mots semblent tabous.

Votre deuxième piste de réflexion est la mer, que peut-on en tirer ?

AP: Je vois avec étonnement que nous sommes en train de discuter en Guadeloupe pour savoir s’il faut construire une nouvelle usine électrique alimentée par le charbon et la bagasse (surtout le charbon) et qu’on ne songe pas aux ressources maritimes. La Martinique, la Réunion, la Polynésie ont déposé des projets de centrale thermique des mers, qu’attendons-nous. L’énergie sera l’enjeu de demain. On consomme de plus en plus d’énergie en Guadeloupe, mais comment la produira-t-on dans dix ans, dans vingt ans. Les énergies éolienne, hydrolienne, l’énergie des vagues, l’énergie thermique des mer sont l’avenir et nous n’en manquons pas. C’est un atout extraordinaire d’être un archipel avec une Zone Economique Exclusive de plus de 70 000km2, mais encore faut-il s’en préoccuper. Dans beaucoup de domaines, la Guadeloupe peut être un laboratoire pour des solutions qui n’existent pas encore dans le monde tel qu’il fonctionne actuellement. Malheureusement, la Guadeloupe s’enfonce de plus en plus dans une situation dramatique pour sa jeunesse .Nos politiciens actuels, ceux qui dirigent notre pays, rivalisent de démagogie, soignent leur clientèle électorale. Ils gèrent les affaires quotidiennes, mais ont-ils assez d’imagination pour penser le présent et préparer le futur !

Le port en eau profonde à  Pointe-à -Pitre pour accueillir les gros tankers est-il un atout ou un handicap pour cette Guadeloupe de demain que vous espérez ?

AP; Je suis plutôt favorable à  ce projet. Certains affirment que des containers encore plus nombreux vont arriver et rester dans l’île paralysant toute production locale. Je ne le pense pas. Le port est une infrastructure et en tant qu’infrastructure, il est neutre. Va t-on condamner la Télé, sous prétexte que certaines émissions sont débiles ? Non ! La Guadeloupe doit avoir un port moderne qui réponde aux dernières avancées technologiques, avec la nouvelle génération de porte-conteneurs qui va emprunter le canal de Panama. Le port est une entreprise qui peut créer beaucoup d’emploi, si nous ne saisissons pas cette opportunité, d’autres le feront. Quant à  la question de l’envahissement de la Guadeloupe par des centaines de milliers de conteneurs, cela me parait irrationnel. Il faut savoir que toute marchandise sortant du port à  destinationr d’un importateur, correspond à  un achat ferme et doit acquitter toutes les taxes à  l’importation. Le problème de la protection de la production locale, n’est pas lié à  l’importance du port, ni à  son courant d’eau, mais au libre-échange. Donc, je répète pour protéger la production guadeloupéenne, il faut une protection aux frontières de la Guadeloupe

Ce port n’est-il pas un symbole de cette mondialisation que par ailleurs vous critiquez ?

AP : Je suis contre les règles de la mondialisation capitaliste telles qu’elles fonctionnent aujourd’hui, mais nous ne sommes pas au Cippa refermés sur-nous même, refusant tout échange. Un port est un outil, qu’on peut utiliser de différentes manières. Les échanges peuvent être équilibrés et régulés pour que chacun y trouve son compte et pas seulement les plus gros qui mangent les petits. Dire que l’intervention publique pour réguler les marchés est nécessaire n’est quand même pas aberrant. La mondialisation capitaliste a ses instruments : c’est l’OMC, c’est le FMI, c’est la Banque Mondiale. Et surement pas un port en eau profonde !

N’y a-t-il pas d’autres projets concurrents, notamment à  la Jamaïque ?

AP: Oui, de très gros investissements sont faits en ce moment en Jamaïque pour un port en eau profonde qui capterait la plus grande partie de ce trafic. Justement, nous devons nous aussi avancer.

Que pensez-vous des difficultés économiques dans lesquelles se trouve St-Martin ?
AP: Les difficultés de St-Martin sont essentiellement financières avec un budget en déficit de 10 millions d’euros. Ce déficit correspond exactement au montant de l’octroi de mer qui était versé à  cette ancienne commune de la Guadeloupe, jusqu’en décembre 2008. Dans leurs prévisions les élus de St-Martin n’ont pas acté cette données.

Erreur regrettable qui aurait pu être évité. A moyen terme je suis plutôt optimiste pour St-Martin qui va trouver de nouvelles recettes.

Propos recueillis par Didier Levreau


Notes de la rédaction

(1) Comité d’initiative pour une alternative politique

(2) Avantages comparatifs: L’un des concept ou dogme principal, selon les points de vue, qui guide le commerce international. Son principe: chaque pays s’il se spécialise dans la production pour laquelle il est le plus efficace, le plus productif en somme, accroît automatiquement sa richesse nationale. Cette théorie, credo de l’Organisation mondiale du commerce et des néolibéraux oeuvre pour l’ouverture totale du commerce international et le libre-échange sans entrave. Elle a été théorisée par l’économiste Britannique Ricardo en 1817 et montre ses failles en ce début de XXIem siècle. C’est à  partir de cette idée que la mondialisation et le partage du travail et de la production à  l’échelle planétaire sont organisés. Les délocalisations vers des pays à  bas co ût de main d’oeuvre en est l’une conséquence; produire à  bas prix est un « sacré » avantage comparatif dans la logique neolibérale. Le résultat étant les difficultés grandissantes des classes moyennes des pays dits développés qui n’ont plus leur part de la sacro-sainte croissance. Celle-ci est réalisée ailleurs: Chine, Inde, pays émergents, mais jusqu’à  quand ?

(3) Les pays de l’Alba: Bolivie, Cuba, Dominique, Nicaragua, Venezuela, Equateur, Saint-Vincent et les Grenadines, Antigua et Barbuda. Le Honduras est sortie de l’Alba en 2010 craignant l’ingérence excessive du Venezuela et de son président Hugo Chavez dans l’Alliance.

(4) La Charte de La Havane. En 1947 sous l’égide de l’ONU, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, à  Cuba, île de la Caraïbe qui n’était pas encore castriste, 53 pays se réunissent à  La Havane pour signer la charte qui doit créer l’organisation internationale du commerce. L’objectif est de favoriser les échanges commerciaux entre pays membres, stimuler l’industrie, réduire les barrière douanière. L’ONU doit garantir la légitimité internationale de ce texte avec l’idée de protéger la paix: on ne fait la guerre à  ses clients ou ses fournisseurs.

Tout en étant favorable aux échanges commerciaux internationaux, la Charte s’opposait au libre-échange tel qu’il est pratiqué aujourd’hui en défendant quelques principes parmi lequels: l’intégration du plein emploi dans le développement économique; l’équilibre de la balance de paiements des pays; la coopération et le travail équitable; le contrôle des mouvements de capitaux.

La Charte n’a jamais été appliquée. Les Etats-Unis ont refusé de signer. Le contexte de préguerre froide entre les blocs Est/Ouest au lendemain de la deuxième guerre mondiale a rendu impossible cette synthése qui, tout en développant les échanges et le commerce international, limitait le libre-échange sans contrôle et ses dérives.

La Charte de La Havane ayant avorté elle sera remplacée par le GATT ( accord sur le commerce et les tarifs douaniers) mis en oeuvre par les Etats-Unis, puis en 1995 par l’OMC qui symbolise le néolibéralisme triomphant et qu’accompagne la chute des pays de l’Est. Aucun modèle n’a su résister aux concepts néolibéraux. C’est la raison pour laquelle les altermondialistes dans les années 2000 ont ressorti la Charte de La Havane comme une alternative crédible à  l’ultra libéralisme économique portés par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne à  partir des années 1980.

Auteur/autrice : perspektives

Didier Levreau, créateur en 2010 du site Perspektives, 10 ans d'existence à ce jour