Réparation et traite négrière: la boîte de Pandore de l’Histoire

Si réparation de la traite négrière il devait y avoir, qui devrait payer et comment ? Le sujet est délicat, sensible, la question immense. Elle ne peut avoir de réponse sans une mise à  plat épineuse de l’histoire. A partir de plusieurs textes d’auteurs différents et d’un poème que nous a envoyé Dominique Domiquin, voici quelques pistes de réflexion. Pour commencer, la réponse, un jour à  San Francisco, de Sembene Ousmane, écrivain et cinéaste sénégalais, qu’on ne peut soupçonner de négationnisme, à  la question d’un Africain-Américain  » Que pensez-vous du fait que les Etats-Unis, n’ont jamais exprimé de repentance sur l’histoire esclavagiste du pays » demande cet étudiant à  Sembene Ousmane. Celui-ci connu pour son dégout du prêt à  penser, de l’unanimisme et des idées trop simples répond:  » Mais qui vous dit que celui qui a vendu votre arrière-grand-père comme esclave aux marchands blancs, n’était pas mon propre arrière-grand père. » L’étudiant attendait une réponse simple, rassurante et le cinéaste lui a ouvert la boîte de Pandore de l’Histoire.

La question de la Traite est à  la fois terriblement triste sur la capacité de l’homme à  commettre le pire et terriblement complexe. Elle n’implique pas un pays, un petit territoire, mais trois continents jusqu’à  aujourd’hui encore.

En 2010 Oruno D Lara écrivait:  » A propos des réparations, des investigations historiques sont nécessaires. Le Portugal , l’Espagne ont été les premiers pays à  s’engager dans ce commerce, puis la France, la Grande-Bretagne, la Danemark, la Suède. »

« Sur le continent américain d’autres pays sont en compte avec la traite négrière : les Etats-unis, le Canada, le Brésil o๠la traite et l’esclavage se terminent en 1888. Les anciennes colonies espagnoles sont concernées: le Mexique, Cuba, Saint-Domingue, le Venezuela, Porto-Rico etc, partout o๠il y a eu des esclaves noirs et des colons . Dans ces territoires comment établir les responsabilités entre descendants d’esclaves, planteurs, colons. Qui sont les débiteurs et les créditeurs de cette tragique histoire ?  »

A propos de l’Afrique, Oruno D Lara (1) écrit :  » Des historiens africains comme Félix Iroko, G.R Soglo ont expliqué le commerce négrier. Ils ont montré et prouvé comment des Africains ont vendu des hommes, des femmes et des enfants. »

D’autres historiens africains acceptent mal cette interprétation : « Dans l’histoire de l’Afrique, il n’y a pas de place pour le négationnisme, » a écrit Elikia Mbkolo, « c’est ainsi qu’est née la légende que certains, par ignorance ou mauvaise foi, continuent de divulguer que ce seraient les Noirs d’Afrique eux-mêmes qui auraient vendu leurs propres frères. » A la formule trop générale « des Africains ont vendu » Mbokolo préfère : « Des marchands et des chefs politiques africains ont participé à  la Traite. » Il signifie par là  que tout un continent n’a pas « collaboré», que quelques uns ont tenté de résister et que des rois et des chefs sy sont livrés.

Un business organisé et lucratif

Dans un article publié en 2010 dans le New York Times, Henry Louis Gates professeur à  Harvard (2), historien spécialiste des questions africaines à  partir de ses propres recherches, de celles de plusieurs universitaires Afro-Américains et de nombreux documents d’archives fait à  son tour vaciller les idées sur le sujet : « La triste vérité c’est que la conquête, la capture des Africains et leurs ventes aux Européens furent longtemps une des principales sources de devises de plusieurs royaume africains. Sans ce complexe partenariat entre dirigeants africains et marchands blancs ce commerce n’aurait pas été possible, tout au moins pas à  aussi grande échelle.» Il est clair que ces « dirigeants africains » n’ont pas inventé le principe du commerce triangulaire, mais ils ont participé et tiré profit .

« Ceux qui réclament des réparations pour les descendants d’esclaves, écrit Gates, ignorent cet aspect de la question, préférant croire à  la version romantique que leurs ancêtres auraient tous été capturés par des blancs. La vérité est plus complexe. L’esclavage a été un « business » très organisé, lucratif pour les Européens acheteurs et les Africains vendeurs ».

Gates rappelle que le rôle de l’Afrique dans la traite a été étudié par des Africains-Américains avant la guerre civile américaine. Il cite l’exemple de Frédérick Douglass (3) pour lequel ce rôle était un argument contre le projet de ramener en Afrique à  la fin du 19em siècle, les anciens esclaves. Il évoque également la prise de conscience de quelques dirigeants africains : en 1999 le président du Bénin, Mathieu Kerekou lors d’un voyage aux Etats-Unis, surprend la foule lorsqu’à  Baltimore il tombe à  genoux devant des Africains-Américains en s’excusant de la honte et de labominable rôle joués par ses compatriotes dans la Traite atlantique. Le président du Ghana a eu une attitude comparable quelques années plus tard.

Le produit d’une histoire

Cette mise en perspectives de plusieurs textes nous conduit à  citer un article de Achille Mbembe paru dans la revue Politique Africaine en 2000. « Le destin des esclaves noirs dans la modernité n’est pas le seul résultat du vouloir tyrannique de l’autre et de sa cruauté, encore que celle-ci soit établie. L’autre signifiant primitif, c’est le meurtre du frère par le frère, bref, la cité divisée. Du coup l’appel à  la race comme base morale et politique de la solidarité relèvera toujours, quelque part, d’un mirage de la conscience tant que les Africains continentaux n’auront pas repensé la Traite et les autres figures de l’esclavage non plus seulement comme une catastrophe qui s’est abattue sur eux, mais également comme le produit d’une histoire qu’ils ont activement contribué à  façonner à  travers la manière dont ils se sont traités les uns les autres. »

Et pour conclure Christiane Taubira, députée de Guyane et initiatrice de la loi française de 1998 reconnaissant l’esclavage comme crime contre l’humanité. En 2004 devant l’assemblée nationale du Bénin elle a évoqué le « silence coupable » des parlementaires et gouvernants africains et les appelés à  prendre position et nommer ce crime.

La boîte de Pandore de l’Histoire n’est qu’entr’ouverte. Faut-il aller plus loin ? Avec le poème Boukan qu’il nous envoyé et que vous pouvez lire sous la rubrique « lecture » Dominique Domiquin a joint ce texte : « L’esclavage était une institution. L’histoire, c’est l’histoire. Point barre. Elle ne nous empêche ni d’être Français, ni d’être indépendants. Elle nous sert juste à  ne pas affronter les vrais problèmes, sociaux, économique, politique. La race a toujours été et sera toujours une impasse politique. »

(1) Oruno D Lara, Guadeloupéen, historien lui-même et petit fils de l’historien Oruno Lara (1879-1924)

(2) Henry Louis Gates, professeur à  Harvard, très connu aux USA et ami de Barack Obama, c’est lui qui a été victime en 2009 d’un  » malheureux » faits divers à  connotation raciale. Rentrant chez lui un soir tard et ayant quelques difficutés à  ouvrir la porte de son domicile, il a été arrêté assez brutalement par des policiers croyant avoir à  faire à  un cambrioleur. Un homme noir donnant l’impression de forcer une serrure dans un quartier plutôt chic, cela leur avait semblé « louche ».

(3) Frédérick Douglass, Africain-américain, né aux Etats-Unis en 1818 durant la période esclavagiste est mort en 1895 après l’abolition américaine. Homme politique et écrivain il a milité toute sa vie pour l’égalité des droits entre hommes, femmes, immigrés récent, indigènes etc. Sa phrase favorite était : « Je m’unirai avec n’importe qui pour faire le bien, avec personne pour faire le mal. »

Auteur/autrice : perspektives

Didier Levreau, créateur en 2010 du site Perspektives, 10 ans d'existence à ce jour