Des musées perdent leurs têtes Maoris et sauvent tardivement leurs âmes

Des musées d’Europe et d’Amérique ont dans leurs collections des pièces aux origines souvent discutables. Le temps des comptes est-il venu ? Plusieurs musées de France rendent à  la Nouvelle Zélande des têtes Maoris, mais combien d’objets de rituels et de cultes, de représentations des dieux africains, océaniens, indiens, achetés et revendus, survivent loin de leurs terres dans les vitrines des musées, Pourquoi le Zodiaque de Denderats représentant une carte du ciel avec les douze constellations, vieux de plus de 2000 ans, et ornant en Egypte jusqu’au 18e siècle le plafond d’une chapelle dédiée à  Osiris, se trouve-t-il au musée du Louvre à  Paris ?

Pourquoi des têtes tatouées et momifiées de guerriers maoris sont-elles disséminées un peu partout dans le monde chez des collectionneurs et dans des musées français, anglais, étasuniens ?

Il est facile de répondre à  la première question. Un des généraux de Bonaparte a emprunté le Zodiaque aux Egyptiens lors de la campagne d’Egypte. C’est simple et clair. Peut-on estimer, en 2010, cet emprunt légitime ? C’est une autre question qui n’est pas, pour l’heure, à  l’ordre du jour.

Pour les têtes Maoris la réponse est plus complexe. Comment des restes humains ont-ils pu se retrouver dans des musées occidentaux ?

La marchandisation d’un rituel

Dans le rituel maori, le tatouage et la momification sont des hommages rendus aux hommes les plus valeureux de la tribu. Les têtes sont momifiées conservées quelques temps puis enterrées près du village o๠demeure le clan du défunt. Avant l’arrivée des premiers occidentaux en Nouvelle Zelande, cette pratique est un rituel polynésien auquel est attaché une valeur honorifique voire sentimentale: reconnaitre les guerriers les plus vaillants du groupe.

Sur ce rituel, les premiers Européens arrivés en Nouvelle Zélande ont porté un regard allant du dégout – ils jugeaient le rituel barbare – à  la curiosité. C’est cette curiosité qui a conduit les têtes tout droit chez les collectionneurs et dans les musées occidentaux, mais a donné aussi à  ces objets une valeur marchande qu’ils ne possédaient pas auparavant.

Un document du musée de Rouen qui fut le premier musée en France à  songer à  rendre ces têtes l’explique :  » L’arrivée des colons et leurs curiosité a crée une demande, un marché, et a détourné le sens originel de la décapitation. »

Parmi les Maoris eux-mêmes, nul n »étant parfaits, quelques uns ont abusé de ce marché qui permettait en échange de têtes tatouées et momifiées d’obtenir des armes, de la nourritures, de l’alcool.  » Les hommes tatoués étaient en danger, car leur tête avait un prix auprès des marchands, pseudos scientifiques, pseudos anthropologues, pseudos archéologues qui les ramenaient en Europe. Pour répondre à  cette demande il y a même eu des cas d’esclaves tatoués comme des chefs, pour ensuite être décapités momifiés et leurs têtes vendues. »

Ce commerce morbide pris de l’ampleur au point qu’en 1831 l’Angleterre pris des mesures pour l’interdire, mais des dizaines de têtes Maoris circulaient déjà  en Europe. Des collectionneurs comme un certain Horacio Gordon Robley se faisaient prendre en photo avec leurs très discutables acquisitions, plus de trente têtes. Par ailleurs, aucune étude scientifique n’a jamais été faite sur ces têtes; le trafic d’objets lié à  une curiosité morbide et le désir de montrer aux « peuples civilisés » une rituel jugé barbare de ce côté-ci du globe restent les motivations.

Il était donc temps que les têtes reprennent la route de la Nouvelle Zélande.

Ethique et respect des peuples

Depuis une vingtaine d’année le pays réclamait le retour sur son sol de ces restes humains issus de pratiques rituelles traditionnelles. La Nouvelle Zelande est aujourd’hui un territoire d’environ cinq millions d’habitants, peuplés majoritairement par les descendants des colons européens, essentiellement des Britanniques et des Irlandais. Les Maoris sont devenus minoritaires au pays de leurs ancêtres. La Nouvelle Zelande passée sous souveraineté britannique en 1840 est indépendante depuis 1947. Les colons et les Maoris se sont livrés à  plusieurs guerres dans le courant du 19e siècle, aujourd’hui il existe une volonté de rapprochement et de compréhension entre les deux cultures mais celle-ci ne va pas sans tensions ni difficultés. Au delà  de ces tensions une fierté et un attachement au pays anime l’ensemble de la population.

Il a fallu une loi voté en mai 2010 pour que la France restitue ces têtes à  la Nouvelle Zélande. Lorsqu’il a voulu rendre les objets qu’il avait en sa possession le musée de Rouen s’est heurté à  l’intervention du ministère de la Culture qui invoquait le caractère inaliénable des collections des musées. L’ancienne ministre Christine Albanel semblait fermement attaché à  cette clause, même lorsque l’éthique et le respect des peuples sont mis à  mal. Son successeur, Frédéric Mitterrand, a adopté une attitude plus conciliante et la loi a finalement été votée.

Mais peut-on en rester là  ? Les têtes Maoris s’en retournent vers leur terre d’origine, mais combien d’autres objets, vestiges, masques, achetés, empruntés, volés, appartenant à  des pays du sud restent dans les musées occidentaux.

Les musées de l’interpellation

Plusieurs pays parmi lesquels l’Egypte, la Grèce, le Nigéria, le Pérou, le Guatemala se sont associés pour réclamer ce droit au retour. Pas de tous les objets, ni de toutes les momies, ni de toutes les statues ce serait irréalisable, mais des plus significatifs, des plus symboliques, des plus précieux pour les cultures et les mémoires .

Ainsi le Pérou réclame des collections venant de la cité Inca du Machu Picchu qui se trouvent, on se demande pourquoi, au musée de l’université de Yale aux Etats-Unis; la Grèce veut voir revenir sur son sol une partie des frises du Parthénon qui se trouvent à  Londre; l’Egypte veut revoir sur sa terre le buste de Nefertiti qui se trouve dans un musée à  Berlin etc.

Combien de piéces qui se trouvent au quai Branly à  Paris – le fameux musée des Arts Premiers – peuvent relever de ces réclamations. Lorsqu’on aborde ces questions, il est impossible d’oublier la lettre au président de la République qu’a adressé Aminata Traoré, ancienne ministre de la Culture du Mali lors de l’ouverture de ce musée qu’elle qualifie « Musée de l’interpellation ».

Extraits de la lettre d’Aminata Traoré

 » Les oeuvres d’art, qui sont aujourd’hui à  l’honneur au Musée du Quai Branly, appartiennent d’abord et avant tout aux peuples déshérités du Mali, du Bénin, de la Guinée, du Niger, du Burkina-Faso, du Cameroun, du Congo… leurs pays d’origine (…) Je retiens le Musée du Quai Branly comme l’une des expressions parfaites de ces contradictions, incohérences et paradoxes de la France dans ses rapports à  l’Afrique (…) je continue de me demander jusqu’o๠iront les puissants de ce monde dans l’arrogance et le viol de notre imaginaire.

Nous sommes invités, aujourd’hui, à  célébrer avec l’ancienne puissance coloniale une oeuvre architecturale, incontestablement belle, ainsi que notre propre déchéance et la complaisance de ceux qui, acteurs politiques et institutionnels africains, estiment que nos biens culturels sont mieux dans les beaux édifices du Nord que sous nos propres cieux. Je conteste le fait que l’idée de créer un musée de cette importance puisse naître, non pas d’un examen rigoureux, critique et partagé des rapports entre l’Europe et l’Afrique, l’Asie,l’Amérique et l’Océanie dont les pièces sont originaires, mais de l’amitié d’un Chef d’Etat avec un collectionneur d’oeuvre d’art qu’il a rencontré un jour sur une plage de l’île Maurice. Les trois cent mille pièces que le Musée du Quai Branly abrite constituent un véritable trésor de guerre en raison du mode d’acquisition de certaines d’entre elles et le trafic d’influence auquel celui-ci donne parfois lieu entre la France et les pays dont elles sont originaires. Un masque africain sur la place de la République n’est d’aucune utilité face à  la honte et à  l’humiliation subies par les Africains et les autres peuples pillés dans le cadre d’une certaine coopération au développement.

Bienvenue donc au Musée de l’interpellation qui contribuera – je l’espère – à  édifier les opinions publiques française, africaine et mondiale sur l’une des manières dont l’Europe continue de se servir et d’asservir d’autres peuples du monde tout en prétendant le contraire. »

Victor Hugo et le Palais d’été

La charge n’est pas nouvelle, pas plus que la frontière étroite qui existe souvent entre « mission civilisatrice et barbarie ». 1860 en Chine. Au cours de la seconde guerre de l’opium des troupes anglo-françaises envahissent le palais d’été de l’empereur en fuite et saccagent tout. Il s’agissait d’un édifice d’une beauté exceptionnelle qui n’a pas résisté à  la fureur des soldats.

Des pièces tirés du pillage de ce palais sont toujours visibles au musée de Fontainebleau. Elles apparaissent dans le musée chinois de l’impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III, aménagé en 1863, trois ans après le saccage. Sur le site internet du musée aujourd’hui encore, ces pièces sont signalées comme venant  » du sac du palais d’été de Pékin par le corps expéditionnaire franco-anglais ». La naïveté du propriétaire a la vie longue.

Voici ce que disait Victor Hugo du saccage du palais d’été:

 » Nous, Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous, les Chinois sont les barbares. Voila ce que la civilisation a fait à  la barbarie. Devant l’histoire, l’un des deux bandits s’appellera la France, l’autre s’appellera l’Angleterre.

Mais je proteste, et je vous remercie de m’en donner l’occasion ; les crimes de ceux qui mènent ne sont pas la faute de ceux qui sont menés ; les gouvernements sont quelquefois des bandits, les peuples jamais. L’empire français a empoché la moitié de cette victoire et il étale aujourd’hui avec une sorte de naïveté de propriétaire, le splendide bric-à -brac du Palais d’été. J’espère qu’un jour viendra o๠la France, délivrée et nettoyée, renverra ce butin à  la Chine spoliée.

En attendant, il y a un vol et deux voleurs, je le constate. »

Auteur/autrice : perspektives

Didier Levreau, créateur en 2010 du site Perspektives, 10 ans d'existence à ce jour